Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La désertion des enchères, à la vente des biens de Rembrandt, devait être organisée de longue date, car le 1er août 1657, quatre mois avant la première vente à la « Couronne Impériale, » l’homme d’affaires de Joan Six envoyait un notaire pour exiger de Van Ludick, qui avait cautionné Rembrandt, le remboursement des mille florins de sa créance, sachant, dit-il, qu’il n’a rien à espérer de la faillite ni de la vente de ces biens après information à la Chambre des Insolvables. » Or, cette démarche était faite un mois après la vente triomphale des Rembrandt de J. de Renialme !

Une dernière preuve l’établirait. Sa maison de la Breedestraat, qu’il avait payée 13 000 florins et considérablement embellie, fut vendue seulement 6 700 florins en 1658, alors qu’elle avait pris une plus-value considérable du fait de l’éloignement de la Léproserie et des Lazarets, et des nouveaux agrandissemens de la ville.

La commune infortune qui s’abattit le même jour et des mêmes mains sur Rembrandt et Spinoza semble donc bien avoir une cause identique. Spinoza, quoique né à Amsterdam, demeurait un étranger dans l’Etat ; le décret d’exil qui le frappa était le plus simple et le plus commode expédient pour les magistrats qui voulaient se débarrasser de sa personnalité jugée dangereuse. Rembrandt était un bourgeois d’Amsterdam ; à ce titre, il ne pouvait être exilé pour un délit d’opinion, ou des allures scandaleuses. Mais on pouvait atteindre son crédit et sa dignité en jetant sur lui, dans ce milieu de négocians, la plus forte disqualification qui pouvait atteindre un « honnête homme. » On le déclara donc insolvable, tandis qu’il justifiait posséder plus de vingt fois la faible somme réclamée par ses créanciers.

Mais il n’était pas homme à renier ses convictions, ni à s’incliner devant un arrêt inique.

On le voit donc peindre, en 1657, ce tableau qui vaut un pamphlet, où, sous les traits du haineux Saül Lévi Morteira, il représente le roi Saül « tourmenté d’un malin esprit, » s’apprêtant à frapper de sa lance un David, non pas « roux et d’un bel aspect » suivant le texte biblique qui lui était si familier, et tel qu’il l’avait peint autrefois, — mais sous les dehors d’un jeune homme étonnamment racé, avec des cheveux noirs bouclés sur l’ovale allongé d’un visage évoquant Spinoza jusque dans la phtisie qui l’avait atteint, déjà, avant son exil d’Amsterdam.