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mena tout un tapage depuis le mois de janvier jusqu’à la fin d’octobre 1649, pour se faire épouser par Rembrandt.

Elle avait testé l’année précédente en faveur de son nourrisson Titus et lui avait attribué tout ce qu’elle avait gagné chez le peintre : notamment un certain anneau de diamant, le « Rossring, » qui avait appartenu à Saskia et que la veuve montrait comme une bague de fiançailles octroyée par son maître. Après bien des tentatives d’arrangement par-devant notaire et, sans doute, bien des criailleries scandaleuses dans le quartier, Geertghe, qui avait accepté une pension de 150 florins pour quitter la maison, refusait de signer l’acte définitif et assignait Rembrandt devant la commission des mariages à l’Hôtel de Ville d’Amsterdam, en exigeant la réalisation d’une soi-disant promesse de mariage. Évidemment son esprit était déjà troublé, car elle devait bientôt mourir folle. Elle se prétendait la maîtresse du peintre et demandait une réparation légale.

Après trois sommations par huissier et des amendes, Rembrandt vint répondre en personne aux magistrats. Il nia tout rapport suspect avec sa servante et maintint son offre d’une pension qui fut portée par le Conseil à la somme de 200 florins. Cette affaire était déplorable ; d’autant plus qu’on y voit figurer, comme témoin, cette Hendrickje Stoffels qui semble bien être le prétexte des colères de la veuve jalouse, laquelle ne voulait pas quitter la maison pour lui céder la place. Après le jugement, les tempêtes et les clabaudages de Geertghe durent continuer, au dehors, jusqu’au jour où ses voisines la dénoncèrent comme folle et la conduisirent dans un asile, à Gouda, au milieu de 1650. La « bonté extravagante » de Rembrandt se montre ici sous un aspect sympathique ; c’est lui qui fit tous les frais du transfert et de la pension de la pauvre folle qui l’avait harcelé si longtemps.

On conçoit combien cette affaire fut scandaleuse parmi les bourgeois rigoristes du Magistrat d’Amsterdam qui réglementaient tout, jusqu’aux menus des repas de mariage, au nombre des convives, à l’heure de se mettre à table et d’en sortir, sous peine d’amende.

Si l’on se rappelle, en outre, qu’en 1654, Hendrickje Stoffels fut appelée devant le Consistoire de la Oude Kerk en même temps que Rembrandt qui déclina sa compétence, on comprend quelles rancunes il amassait contre lui.