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David ; son air souffreteux, tout surprend et force l’attention. A le regarder mieux, on lui trouve le type des juifs portugais du quartier de la Léproserie et du Houtgracht d’Amsterdam.

Chez le peintre de la Bible et des Evangiles, l’erreur apparaît volontaire, tant le choix de ce modèle est éloigné du type de l’adolescent David, — tel qu’il était consacré par la tradition, et si nettement établi par les textes du livre des Rois et des Paralipomènes.

La date, 1657, prend ainsi une signification singulière. Elle fait surgir des lointains de l’histoire tous les acteurs de ce drame oublié. Le portrait bien connu de Spinoza s’impose alors à l’esprit. Et voici que la figure de Baruch se superpose exactement au masque étroit de ce David étrange, dont la lèvre épaisse s’assombrit d’une petite moustache noire. Rembrandt n’a pas représenté, sans intentions, le viril éphèbe éphratéen sous les traits de ce jeune homme phtisique, de vingt ans passés, manifestement peint de souvenir, comme si le maître eût cherché à évoquer une ressemblance.

Certes, ce n’est pas un portrait rigoureux ; la chose était d’ailleurs impossible, puisque, en 1657, Spinoza était exilé. Au surplus, Rembrandt n’a jamais été un portraitiste bien fidèle ; l’eût-il été, ce n’était pas ici le cas d’appuyer lourdement sur une ressemblance qu’il suffisait d’évoquer. Car l’autre personnage du tableau est beaucoup plus typique, malgré l’adroit artifice du visage à demi masqué.

On avait déjà vu la figure étrange de ce roi Saül avec cette barbe noire, dans l’œuvre de Rembrandt, avant 1657. N’est-ce point dans l’eau-forte de 1648, la Synagogue des Portugais ? n’est-il pas en effet le premier personnage à droite, ce Rabbin à l’air hautain et dur qui discute en marchant ? On le retrouve au Louvre, dans ce portrait d’un Juif au bonnet de fourruré' et dans une autre petite étude, aussi typique, du musée de Cassel. Ne serait-ce point alors ce Saül Lévy Morteira qui joua dans la vie de Spinoza et dans la « nouvelle Jérusalem » d’Amsterdam le rôle même du roi Saül dans l’histoire de David et de Sion naissante ; celui-là même, qui, après avoir instruit Spinoza, prit ombrage de son génie naissant et chercha, à l’exemple du premier roi d’Israël, à abattre son jeune rival.

Cette hypothèse était séduisante, mais il fallait la vérifier. Il fallait surtout rechercher, dans la vie de Rembrandt et dans