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jusqu’au bord du néant, abîme immense pour l’imagination étonnée.

Omnia tempus habent et suis spaiiis transeunt universa snb cœlo. (Eccl. ch. VIII, v. 1 et 37.)

La Nature a ses raisons, et nous exigerions que l’homme, que la politique, que les empires n’en eussent pas ? Attendons tout et ne précipitons rien, mes frères ! Quand l’ordre général est sage, les vœux particuliers ne le sont pas. Donnons donc à nos plaintes les bornes que nous donnons à nos espérances.

Eh quoi ! ce sont des hommes trompés par le témoignage d’autrui et par leurs propres sens, dans les circonstances les plus communes de la vie, au point que ce qu’ils croient ne ressemble souvent à rien de ce qu’ils ont vu, ce sont eux qui voudraient régler l’univers et contrôler la Raison sublime qui préside à la Nature ? Notre intelligence a-t-elle donc plus d’une forme, et les combinaisons des circonstances ne varient-elles pas à l’infini ? Mesurons notre raison avant que de mesurer tout par elle. Alors, nous comprendrons que nos vains murmures sont autant de délires coupables d’un amour-propre exalté jusqu’à la démence, jusqu’à l’impiété. L’entendement humain, tout faible qu’il est, suffit ici pour nous convaincre.

N’admirons pas, disent les hommes en parlant des apparences d’ordre et de convenance démenties par quelque conclusion fâcheuse, n’admirons pas, car cela nous est nuisible ; ou dans une occasion différente, admirons, disent-ils, car cela nous est utile. Eh ! mes amis, désintéressez-vous et admirez tout simplement parce que la chose est admirable. Vous avez une singulière présomption, atomes de deux jours ! Vous vous croyez réellement les rois et le but de l’univers ! C’est pour vous que la terre produit, que les animaux existent, que les astres tournent ? Sirius fut fait, vous osez le croire, pour ajouter la valeur d’une bougie à notre illumination nocturne, et les innombrables étoiles de la voie lactée pour vous récréer la vue ! Votre orgueilleuse imagination destine tout pour vous jusqu’au Dieu suprême qu’elle voudrait diriger à son gré.

Ne le croyez donc point si déraisonnable, — vous qu’il a rendus capables de raisonner, — que d’avoir ainsi prodigué les œuvres de sa toute-puissance uniquement pour un des plus faibles ouvrages sortis de ses mains ! La position de votre globe, les bornes de vos facultés et de votre intelligence, les maux qui se