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discussions aux savans qui attendront longtemps encore les réponses des incrédules. Je ne vous presserai pas même de m’apprendre ce que les partisans de l’âme matérielle pensent prouver par leur hypothèse. Si, quand rien ne meurt dans la nature, l’âme peut mourir ? Et si la mort de tout être sensitif n’étant que la dissolution des parties, la pensée qui est une et qu’on ne peut se partager, peut se dissoudre et par conséquent périr ?

Non, je négligerai toutes ces inductions métaphysiques. Je me renferme dans les preuves morales. Je rentre dans mon cœur, que le spectacle de l’injustice et les efforts de l’oppression n’ont rendu que plus sensible et plus tendre, et pour qui le besoin d’adorer un Etre et d’aimer les autres est aussi essentiel que celui d’exister. Je l’interroge. Le sentiment, la voix de la raison, le cri de la nature m’inspirent et je dis :

Quel serait Dieu plus que le Dieu juste, ô Dieu paternel et tout-puissant ! Quel serait l’asile de ces infortunés que la tyrannie opprime à force ouverte ou que l’ignorance condamne sous le voile de la justice, si tu n’existais pas pour les dérober aux fureurs de l’homme ? Quel serait, aux yeux du commun des mortels, qui ne juge que sur des apparences d’ordre et de convenance, quel serait le prix de la vertu ? Quel encouragement lui resterait-il, si le feu qui l’alimente et l’anime, devait un jour s’éteindre dans le cercueil des temps ? S’il n’était entre le néant et le meilleur des hommes le plus humble, le plus sincère adorateur de l’Etre suprême, le plus religieux observateur des lois qu’il nous a prescrites, que le point fugitif de l’existence qu’on nomme la vie, où tant de tyrans oppriment et tant de méchans persécutent avec impunité ?… Loin de nous une doctrine qui n’est favorable qu’aux despotes et à la perversité des scélérats ! Si l’âme était mortelle, la vertu qui gémit ici-bas, — et un seul individu non coupable, n’est-il pas en droit de se plaindre, — la vertu croirait pouvoir accuser avec justice l’Être des êtres qui se dresse à son insu et contre son intérêt. Si l’âme était mortelle, la Providence semblerait une chimère et Dieu le plus affreux des tyrans, comme le seul irrésistible, le seul qu’on ne saurait fuir ?… Ah ! loin de nous ces affreux blasphèmes ! Voyez le peuple, c’est-à-dire l’espèce humaine presque entière, voyez le peuple sur la terre ! Il n’existe que pour sentir son néant. Mais dans la tombe, mais aux yeux du grand Juge, mais au pied de son trône, le dernier