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renforts se chiffrant à millions ; on dégage par une offensive divergente une affaire mal engagée ; on tâte l’adversaire successivement partout, et l’on revient à la charge quand on a détourné son attention : c’est une escrime avec ses feintes, ses parades, son agilité.

Les forces se reproduisent, elles sortent du sol presque aussi vite qu’elles se déplacent. Le plus prodigieux n’est pas leur mouvement, mais leur renaissance et leur entretien. Car le chiffre brut des effectifs ne donne qu’une idée incomplète des choses ; il faut le multiplier par celui des besoins auxquels on doit pourvoir. Chaque homme emploie à tour de rôle tant d’armes et d’outils, consomme tant d’espèces de projectiles, nécessite des approvisionnemens si variés qu’il donne du travail à tous les corps de métier. L’armée elle-même fait de tout. Image de la nation dont elle rassemble la fleur et qu’elle tend à absorber en entier, elle vit de toutes les vies à la fois. La plupart des activités pacifiques y trouvent leurs correspondantes, non seulement les professions proches de la matière ou du monde animal, comme celles des boulangers, bouchers, conducteurs de troupeaux, éleveurs de chiens, cuisiniers, cordonniers, tailleurs, charrons, forgerons, mécaniciens, menuisiers, terrassiers, maçons, électriciens, chimistes, télégraphistes, photographes, etc., mais plusieurs de celles qui touchent intimement à l’homme et s’élèvent de son corps jusqu’à son âme, depuis l’art dentaire et l’humble métier de pédicure jusqu’au ministère religieux des aumôniers, en passant par le service des postes et la médecine, par le journalisme, le professorat et la judicature. L’existence militaire englobe un trop grand nombre d’hommes venus de partout, elle les retient trop longtemps et les met à trop de besognes pour n’être pas un résumé de moins en moins incomplet de l’existence totale du pays.

Aussi, l’armée se décompose-t-elle en un nombre croissant de corps et spécialités. C’est la loi commune des industries de se subdiviser ; mais ici la diversité reste dans l’unité. Ce provignement tient à plusieurs causes durables qui n’ont certainement pas produit tous leurs effets. Le nombre seul permettrait déjà et appellerait la division du travail. Pour l’approvisionnement, en particulier, les raisons sont les mêmes que dans les autres industries productrices : économie, rapidité. Le progrès matériel qui habitue au confortable et le porte jusque dans les