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emprises de plus en plus étendues sur les libertés particulières. La protection des intérêts particuliers concourt au même résultat. Une partie de la France est envahie ; voici des réfugiés qui s’enfuient de leurs villages. Les pouvoirs locaux, qui leur ont fait évacuer les localités menacées, dirigent leur émigration vers des régions où il faut les répartir. On doit leur donner un abri provisoire, trouver des refuges, subvenir aux besoins de ceux qui n’ont pas les moyens de se suffire. Il importe d’en savoir le nombre et de connaître exactement leurs capacités de travail, afin de les utiliser avec les moindres pertes possibles. Il y a là un service qui, pour faire face à des nécessités inopinées, aura avantage à établir des cadres préalables. Il faudrait, par profession et par commune, savoir l’effectif des travailleurs non mobilisés, et posséder des renseignemens précis sur les places à leur donner dans les régions de l’intérieur.

Nos législateurs viennent d’admettre un droit nouveau, celui de tout civil, victime de la guerre, à une compensation. C’est du fait de la nation qu’il a été exposé à souffrir dans sa personne ou dans ses biens. C’est elle qui a été frappée en lui. Il a payé parfois sa fidélité au drapeau. La dévastation des armées est une sorte de réquisition qui ne doit pas être gratuite. Les habitans des zones de combat y sont seuls soumis, ou à peu près. C’est un fléau qui les atteint alors qu’ils couvrent les autres de leur corps. La solidarité nationale veut qu’ils soient indemnisés de leurs pertes et que tout citoyen supporte sa quote-part des ruines entraînées par une guerre dont il partage le bénéfice. De là une action publique d’expertise et de contrôle, de secours et de juste réparation, mais aussi un droit et un devoir de direction. Car si l’Etat prend la responsabilité des dégâts, il lui faut tenir la main à certaines précautions. L’attitude des populations l’engage désormais en quelque mesure : elle l’engage matériellement, puisqu’il paiera, et elle l’engage moralement par voie de conséquence.

En réalité, dans toute contrée occupée par le front, la population est prise en étroite tutelle par les troupes. Elle peut de moins en moins conserver une vie indépendante. Les vivres et ressources, quels qu’ils soient, sont entièrement réquisitionnés. Le bois sert à étayer les tranchées ; les portes mêmes sont démontées pour les couvrir, les chaises emportées pour les