Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/95

Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’oppose pas seulement les États, mais aussi les individus qui les composent. C’est là le principe admis dans l’antiquité, et qui subsiste pleinement au Moyen Age. Son application sur mer conduit aux résultats suivans. D’une part, chaque État peut licitement y saisir les navires et les marchandises appartenant, soit à l’État ennemi, soit aux sujets de cet État. D’autre part, les particuliers ont le même droit : leurs bâtimens peuvent eux aussi « courir sus » à ceux de l’ennemi, que ces derniers appartiennent à un État ou à une personne privée. Cette règle est le principe de « la course, » et l’on connaît le rôle considérable, souvent glorieux, que les corsaires ont joué dans les guerres navales d’autrefois.

Avec les temps modernes, une évolution se dessine. On commence à douter de la légitimité de ces guerres privées sur mer. Du moins, on cherche à les restreindre, à les régulariser. Le corsaire ne semble plus pouvoir à bon droit opérer, que s’il en a reçu l’autorisation du gouvernement dont il relève : il lui faut donc préalablement obtenir des « lettres de marque. » Puis, ses captures ne sont pas toujours reconnues valables par ce gouvernement : devant celui-ci, les capturés sont admis à faire entendre leurs réclamations, et quelquefois il ordonne qu’on les relâche, eux et leurs biens. La formule s’introduit, que toute prise doit être jugée par l’autorité souveraine ; la connaissance de ces causes est attribuée à l’amiral, chef suprême de la flotte royale, et au conseil qui l’entoure. Cette évolution s’accentue à travers les xvie, xviie et xviiie siècles. Sans doute, elle n’a pu se produire, dans les différens États européens, que parce que les rois y voyaient l’avantage d’affirmer leurs prérogatives. Mais elle a fort servi, en fin de compte, la cause des droits de l’étranger.

Cette cause obtient, au xixe siècle, un nouveau succès, fort considérable. La guerre privée semble définitivement surannée. La France, avec sa générosité coutumière, et quelque intérêt qu’elle puisse avoir à en conserver le principe, se déclare prête à y renoncer. Les grandes Puissances se mettent d’accord sur ce point, au Congrès de Paris, et la déclaration du 16 avril 1856 vient solennellement abolir la course. Désormais la guerre navale ne se fera plus que d’État à État, les particuliers ne pourront plus s’y livrer pour leur compte. L’État garde, il est vrai, le droit de saisir en mer, pendant la guerre, non seule-