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transparente de sa pensée et la profonde bonté de son cœur. « Ah ! — s’écrie-t-il un jour à ce propos, — que les Allemands ne viennent plus nous représenter les Français comme une race dégénérée ! » Et tout son livre est semé de vivantes esquisses comme celle-ci :


Le soldat français est fermement résolu à poursuivre la guerre jusqu’au bout, et à ne pas s’arrêter de combattre ni de souffrir avant le jour de la victoire complète : mais, en même temps, il comprend fort bien que ce massacre réciproque est, en vérité, une triste besogne. Je n’oublierai jamais le visage sérieux et recueilli d’un soldat français de la Territoriale, un homme d’une quarantaine d’années, avec qui j’ai causé tout à l’heure. Il faisait partie d’une escouade chargée d’enterrer les morts, aux environs de Soizy-aux-Bois. Il y avait là 300 cadavres que l’on a dû réunir en un seul énorme tombeau ; au moment où j’arrivais pour assister au lugubre travail, mon Territorial et l’un de ses camarades s’apprêtaient à relever le corps d’un fantassin allemand qui gisait sur le ventre, dans un sol boueux, les deux bras étendus. J’offris des cigarettes aux deux soldats ; et c’est après avoir pris la cigarette dans mon étui que le Territorial, en désignant du bras le champ d’alentour, me dit tristement : « Si Guillaume avait pu prévoir tout cela, croyez-vous que ce Kaiser, qui est tout de même un homme ainsi que nous, croyez-vous qu’il aurait eu le courage d’entamer cette guerre ? » Et il regardait, avec une expression de pitié fraternelle, le cadavre lamentable de l’Allemand étendu à ses pieds.


Quant aux Allemands, M. Wood n’en a point rencontré sur sa route, pendant sa visite d’un pays où, la veille encore, ils s’étaient crus installés en pleine possession. Mais, à chaque instant, le voyageur américain a observé sur son passage des traces suffisamment éloquentes de ce qu’avait été cette domination éphémère des futurs vaincus de la Marne. Un soir, par exemple, que ses compagnons et lui revenaient à la Fère, où toutes les maisons survivantes étaient déjà pleines de soldats, une passante leur a conseillé de demander asile à l’un des notables du lieu, un vieux fabricant de Champagne qui se trouvait être, en même temps, « un exemplaire admirable de la bravoure et de la courtoisie françaises. » Aussi bien M. Achille G… était-il, justement, en train de traverser la rue.


Nous échangeâmes des poignées de main dans les ténèbres, et M. G…, avec la plus exquise politesse, nous dit qu’il serait enchanté de nous accueillir sous son toit. Il s’excusa seulement de n’avoir guère à nous offrir qu’un toit, attendu que « les Allemands avaient tout bouleversé, » durant le séjour qu’ils avaient fait chez lui. Il nous proposa timidement de souper avec lui avant de nous coucher ; mais, cette fois encore, il s’excusa de l’extrême indigence de son garde-manger, en disant : « Les Allemands ont tout pris ! » Nous lui apprîmes que nous avions, dans notre