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Sur tout son chemin jusqu’à Lagny, le vendredi 11 septembre, M. Wood s’est étonné de la disparition des innombrables obstacles qu’il y avait rencontrés deux jours auparavant. Au lieu d’être de nouveau arrêté à chaque pas, d’avoir sans cesse à franchir des barrières improvisées ou à subir l’interrogatoire minutieux d’officiers postés sur la route avec leurs hommes, notre voyageur n’apercevait plus absolument aucune trace d’occupation militaire. « D’où je déduisis, avec un frémissement de plaisir, que la bataille devait avoir pris une tournure favorable pour les Alliés. » Mais, au contraire, le spectacle qui attendait M. Wood un peu plus loin, au-delà de Crécy, avait de quoi lui manifester déjà bien nettement les plus tragiques réalités de la guerre. Au sortir du village de Rebais, un champ se trouvait tout couvert de cadavres, allemands et français. Sur l’un des côtés du champ se voyait un amas de bâtisses écroulées où, la veille, un détachement d’infanterie allemande, assisté de deux batteries, avait eu à soutenir l’assaut d’un bataillon de notre 17e régiment de ligne. Un habitant du village racontait que, dans cette affaire, les Français avaient perdu la moitié de leurs hommes, mais qu’ils avaient poursuivi l’attaque avec une obstination indomptable, chargeant l’ennemi à la baïonnette jusqu’à ce qu’enfin ils se fussent emparés de la position et y eussent fait de nombreux prisonniers. « Nous nous avancions, en silence, parmi les morts, — continue l’écrivain américain. — A l’endroit où la mêlée avait été la plus chaude, nous avons compté dix-sept cadavres dans un espace circulaire de trente pas de diamètre. Chacun des hommes du groupe était tombé en avant, la baïonnette pointée droit devant lui. Quelques-uns avaient couru avec un tel élan qu’en tombant leurs épaules avaient creusé un trou dans la terre malléable. Presque tous avaient été tués par des éclats d’obus. »

A Boissy, à Montmirail, hommes et choses attestaient la violence meurtrière de batailles semblablement terminées par la retraite des troupes allemandes. Mais toujours M. Wood et ses compagnons avaient l’impression que le véritable centre et « foyer » de la bataille ne pouvait pas être là, et que, malgré l’énormité de leurs pertes, les Allemands ne s’étaient ainsi retirés qu’en raison d’une grave défaite subie quelque autre part. Il s’agissait donc, pour les voyageurs américains, de découvrir ce « foyer » principal d’une défaite allemande qui, dorénavant, ne laissait plus aucun doute. Après une longue, — et d’ailleurs infiniment instructive, — série de recherches, ils l’ont enfin découvert aux environs de la Fère-Champenoise, sur un plateau où, d’abord, les troupes allemandes avaient attaqué les nôtres, avec