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Le récit de M. Wood nous est présenté sous la forme d’un « journal » écrit au jour le jour depuis le 4 août 1914, et dont je vais tenter de suivre ici l’ordre chronologique, — tout en devant me borner à n’en extraire, un peu au hasard, qu’un petit nombre d’anecdotes et de menus tableaux caractéristiques. Voici d’abord, à la date du 5 août, un incident assez singulier, et dont je ne me souviens pas d’avoir rencontré la moindre mention dans nos journaux d’alors. Toujours est-il que, le 4 août, un « invidu trop entreprenant » s’est avisé de louer l’un de ces gentils « bateaux-mouches, » qui, d’ordinaire, allaient et venaient sur la Seine entre le quai du Louvre et le pont de Saint-Cloud. Après quoi, cet ingénieux et hardi spéculateur a fait savoir, dans tous les grands hôtels de Paris, que, « puisqu’il n’était plus possible de se rendre à Londres par le Havre en chemin de fer et en paquebot, lui-même se chargeait de transporter directement jusqu’à Londres les voyageurs américains, » — moyennant que ceux-ci lui remissent d’avance une somme que M. Wood ne craint p.as de qualifier d’« extravagante. » A quoi les portiers des susdits hôtels étaient encore priés d’ajouter, confidentiellement, que ce transport de riches voyageurs américains sur un bateau-mouches, le long de la Seine et à travers la Manche, avait obtenu la pleine approbation de l’ambassade des États-Unis. Mais en réalité, au contraire, aucun membre de l’ambassade n’en avait été prévenu ; et sans doute même l’intrépide organisateur de l’expédition avait naïvement espéré que l’annonce de son projet ne parviendrait pas jusqu’à M. Herrick avant qu’il fût trop tard pour y mettre obstacle. Il ignorait évidemment, entre autres choses, l’obligation pour les Américains de faire viser leurs passeports au départ de Paris, — formalité qui eut bientôt pour effet, comme l’on peut penser, de révéler à M. Herrick l’aventureux projet. Ce fut précisément à M. Wood que l’ambassadeur confia le soin de s’enquérir des conditions du voyage. « Je les trouvai, nous dit l’auteur américain, absolument folles. Le bateau était beaucoup trop petit, et très mal aménagé pour une traversée aussi longue, sans compter l’impossibilité à peu près complète de nourrir les voyageurs, et maintes autres difficultés résultant de l’état de guerre. » Si bien que le projet de l’« individu trop entreprenant » fut tout de suite empêché par notre police française, et certes bien à propos pour les imprudens voyageurs : mais je ne saurais me défendre de songer à l’intérêt passionnant qu’aurait eu, pour nous, la relation d’une aventure telle que celle-là par l’un de ses héros, si seulement quel^-qu’un de ceux-ci y avait survécu !