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Par d’autres côtés encore ce caractère nous choque. On a beau se dire humain, plus qu’humain, quand on a vu le jour à Francfort, on a des chances pour être resté Allemand. Mézières souligne justement le « caporalisme » de Gœthe. C’est lui qui, au théâtre de Weimar, fait mettre des sentinelles à la porte des actrices. Dans la salle, défense de rire, défense de manifester sous peine d’être arrêté par les hussards de garde. C’est dans les Affinités électives que se trouve ce programme d’éducation : « Les hommes devraient porter l’uniforme dès leur enfance, parce qu’ils doivent prendre l’habitude d’agir en commun, de se confondre parmi leurs égaux, d’obéir en masse et de travailler pour l’œuvre commune. Toute espèce d’uniforme entretient l’esprit militaire et une discipline plus exacte et plus ferme. Tous les garçons sont nés soldats. » Voilà bien l’Allemand… Mais cet Allemand n’a jamais voulu prendre parti contre la France. Le soir de Valmy, il a salué une ère nouvelle de l’histoire. Sa grande admiration a été pour Napoléon. Il n’a jamais oublié que beaucoup de ses idées lui venaient de chez nous. Il a reconnu ce que la civilisation doit, à la culture française : « Comment, disait-il à Eckermann, moi pour qui la civilisation et la barbarie sont des choses d’importance, comment aurais-je pu haïr une nation qui est une des plus civilisées de la terre ? » Il rend justice à nos écrivains et à quelques-uns des plus français parmi eux, à Molière et à Voltaire. Il s’intéresse à la magnifique éclosion littéraire qui, au début du XIXe siècle, fut notre revanche après l’invasion. C’est pourquoi, en 1915 comme en 1870, nous séparons sa cause de celle des pangermanistes, et nous refusons aux intellectuels allemands le droit de se recommander de lui.


La guerre de 1870 mit une coupure dans la carrière d’Alfred Mézières. Jusqu’alors, les travaux du professorat avaient presque entièrement absorbé son activité. Désormais, il appartiendra surtout au rôle public pour lequel le désignaient, aussi bien que ses origines lorraines, ses opinions connues pour avoir été de tout temps opposées au régime qui venait de sombrer dans nos désastres. Conseiller général, député, sénateur de Meurthe-et-Moselle, jusqu’à sa mort, il ne cessa plus de faire partie de nos assemblées politiques. Il était servi par une