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Metz était encore, à cette date heureuse, la forteresse inviolée, la ville française par excellence. « Il n’y avait pas de ville plus profondément française, française par la langue et par les mœurs, par son attachement à toutes nos traditions, ni plus éloignée de l’empire germanique, qu’elle ne connaissait que pour lui avoir résisté victorieusement avec le duc François de Guise… Personne n’y avait jamais parlé, personne n’y parlait allemand. » Des récits de guerre bercèrent l’âme de l’enfant. Il trouvait autour de lui, et jusque dans sa famille, d’anciens soldats de Napoléon. Ils parlaient du grand Empereur, de la grande Armée. « A les écouter, un frisson d’enthousiasme et de patriotisme passait dans nos veines. Ils nous apprenaient à ne jamais douter de la patrie, à la considérer comme la première des nations, comme la reine du monde. » De là chez Alfred Mézières cet ardent patriotisme qui fut l’inspiration de sa vie publique, et ce goût des choses militaires qui devait plus tard déterminer son rôle dans nos assemblées.

Sa généalogie est curieuse et un peu différente de celle qu’il aimait à s’attribuer. Dans son charmant livre de souvenirs, Au temps passév il parle d’un sien grand-père qui, descendant d’une ancienne et noble famille du Maine, la famille de Vassé, aurait, dans la nuit du 4 août, renoncé à tous ses titres. Sur ce point, la mémoire, généralement si sûre, d’Alfred Mézières était en défaut. Son grand-père descendait bien des Vassé ; mais à la façon dont il en descendait, il n’avait droit à aucun de leurs titres et n’eut donc, dans la nuit du 4 août, aucun sacrifice à faire sur l’autel de l’égalité. Petit employé à la municipalité et bon sans-culotte, ce premier des Mézières poussa le civisme jusqu’à choisir l’année 1793 pour y donner le jour à un fils, auquel il infligea les prénoms peu chrétiens d’Amour-Satan. Les temps passèrent, le calendrier dépouilla la carmagnole : Amour-Satan Mézières devint, plus simplement, Louis Mézières. Ce fut le père de notre confrère. Il avait fait partie de la première promotion de l’Ecole normale. Professeur de rhétorique en province, puis recteur de l’Académie de Metz, il était universitaire dans l’âme. Il n’imaginait pas qu’il y eût pour un honnête homme une autre carrière que la carrière universitaire. Il éleva son fils pour être professeur.

Les études, telles qu’on les comprenait à cette époque, étaient faites pour ravir un enfant qui avait l’esprit vif, de