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le 2 août 1914, amena à Luxembourg le premier train militaire blindé. Interrogé au sujet de ses instructions, cet officier répond qu’il a pour mission d’occuper la gare et les lignes de chemin de fer. Dans son télégramme du même jour, M. de Bethmann-Hollweg déclare : « Nous avons dû prendre des mesures pour la sécurité des chemins de fer du grand-duché exploités par nous… » Il ajoute, il est vrai : « en prévision d’une attaque des Français[1]. »

En ce qui concerne l’invasion de la Belgique, des juristes d’outre-Rhin ont essayé de prouver qu’en l’espace de trois quarts de siècle la situation internationale s’était modifiée si profondément qu’il fallait considérer les traités de 1831 et 1839, garantissant la neutralité belge, comme surannés. A quels subtils argumens faudrait-il recourir pour appliquer la même thèse à une convention signée moins de douze ans avant sa violation ? Et quelle durée pourra-t-on assigner dorénavant aux engagemens au bas desquels l’Allemagne mettra sa signature[2] ?


Ce n’est point seulement l’attitude du gouvernement luxembourgeois, c’est aussi celle de la cour grand-ducale qui a donné lieu à commentaires et à critiques. Nous touchons ici un sujet délicat qu’il convient de traiter avec réserve. Il nous sera permis cependant de préciser certaines situations qu’on peut considérer comme faisant déjà partie du domaine de l’histoire. Ce serait une erreur de croire que la maison de Nassau n’a eu que des sympathies pour le régime que représente l’hégémonie prussienne au sein de l’Empire allemand. Four qu’il en fût

  1. « Unsere militäirischen Massnahmen in Luxemburg bedeuten keine feindselige Handlung gegen Luxemburg, sondern lediglig Massnahmen zur Sicherung der in unserm Betrieb belindlichen dortigen Eisenbahnen gegen Ûberfall der Franzosen. » Télégramme du chancelier à M. Kyschen communiqué à la Chambre des députés luxembourgeoise, séance du 3 août 1914.
  2. Dans les protestations qu’il a formulées à Berlin contre la violation de la neutralité luxembourgeoise, le gouvernement grand-ducal n’aura pas manqué, sans doute, de signaler la double atteinte au respect des conventions internationales que cette violation impliquait. M. Eyschen dut être particulièrement déçu par la méconnaissance d’un engagement dont il avait été le négociateur et qui lui semblait une si sérieuse garantie. Son discours à la Chambre des députés du 3 août 1914 ne mentionne cependant pas spécialement le traité de 1902. L’étonnante désinvolture avec laquelle l’Allemagne considéra que ce traité, comme beaucoup d’autres, n’avait que la valeur d’un « chiffon de papier » a fait l’objet d’un excellent article publié par le Journal de Genève, dans son numéro du 30 novembre 1914.