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considérable, il est clair que, dans le cas du Luxembourg, privé par les traités de forteresses et d’armée, le résultat stratégique d’une telle tentative eût été minime.


N’y a-t-il pas lieu à critique dans le fait d’avoir été trop optimiste, trop confiant ? L’éminent homme d’État qui, depuis plus de trente ans, préside aux destinées du Luxembourg, ne m’en voudra pas, je pense, d’exprimer l’opinion que, de ce côté, sa prévoyance a été en défaut[1]. Cet optimisme, d’ailleurs, ne s’appuyait-il pas sur des argumens solides en apparence ? Lorsque je signalais à M. Eyschen le réseau de lignes stratégiques qui encerclait le Luxembourg, lorsque je lui parlais du danger qu’il y avait à laisser entre les mains d’une administration allemande les principales lignes de chemins de fer du Grand-Duché, le ministre d’État me répondait : « Nous avons pris nos précautions. Lisez l’article 2 de la convention du 11 novembre 1902 entre le grand-duché de Luxembourg et l’Empire allemand, renouvelant et prorogeant le contrat d’exploitation des chemins de fer Guillaume-Luxembourg. »

Cet article mérite, en effet, de fixer l’attention. En voici la teneur : « Le gouvernement impérial s’engage à ne jamais se servir des chemins de fer luxembourgeois, exploités par la direction générale impériale des chemins de fer d’Alsace-Lorraine, pour le transport de troupes, d’armes, de matériel de guerre et de munitions, et à ne pas en user pendant une guerre dans laquelle l’Allemagne serait impliquée, pour l’approvisionnement des troupes, d’une façon incompatible avec la neutralité du Grand-Duché, et, en général, à ne causer ou tolérer, à l’occasion de l’exploitation de ces lignes, aucun acte qui ne fût en parfait accord avec les devoirs incombant au Grand-Duché comme État neutre… »

Qu’on rapproche ce texte de l’ordre remis au capitaine qui,

  1. Ces pages étaient déjà livrées à l’impression lorsque nous est parvenue l’attristante nouvelle de la mort du président du gouvernement luxembourgeois. Sa mémoire ne souffrira pas de l’appréciation que nous émettons ici, puisque, avant tout, elle met en évidence la loyauté de l’homme politique qui ne pouvait concevoir qu’on manquât à la parole donnée, à un engagement solennel et écrit. Avec l’unanimité de ses concitoyens, rendons hommage à celui qui, jusqu’à la veille de sa mort, travailla pour le bien de son pays et laissera à tous ceux qui furent en rapports avec lui le souvenir d’un noble cœur et d’une belle intelligence.