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état de mener sur mer une prochaine opération, qui serait contre l’Angleterre de 1920, après la petite guerre continentale de 1914, ce qu’avait été l’opération de 1870 contre la France, après la petite guerre autrichienne de 1866… La guerre, toujours la guerre : c’est sur cette perspective dernière que s’ouvrent toutes les avenues de l’Allemagne impériale.


Mais en 1911, il semble que les grands chefs de la diplomatie, de la politique et de l’économie allemandes n’étaient pas encore ralliés à ces vues : malgré la raideur et la brusquerie de tous ces tournans, ils croyaient qu’un nouvel effort en viendrait à bout ; ils conservaient leur confiance dans la solidité de la machine et dans la vigueur de leur peuple ; ils étaient toujours sous le charme de formules qu’ils croyaient les plus scientifiques, donc les plus avantageuses du monde.

« A première vue, dit M. V. Cambon, le système industriel de l’Allemagne parait être onéreux : les sociétés enfouissent en matériel coûteux et incessamment renouvelé des sommes effrayantes. Mais si une usine « moderne » peut faire avec cent ouvriers le même travail qu’une usine ancienne avec deux cents, il est facile de voir que la première a un avantage annuel sur la seconde ; car l’usine ancienne aura dépensé, je suppose, en matériel 500 000 francs de moins que la moderne, ce qui représente, à l’amortissement de 10 pour 100, une économie annuelle de 50 000 francs ; mais comme, chaque année, elle paie 100 000 francs de plus de salaires, elle est en retard finalement de 50 000 francs par an sur la moderne. » Mais, pour économiser par an 100 000 francs de salaires, ce n’est pas 500 000 francs qu’il faut mettre à moderniser une industrie : c’est plusieurs millions, — et du train dont allaient en Allemagne les modernisations successives, ce n’est pas à 10 pour 100 qu’il aurait fallu amortir, c’est à 20 ou 25. Au minimum, deux millions de dépenses, amorties seulement à 15 pour 100, donnaient une charge annuelle de 300 000 francs, en regard de l’économie de 100 000, — laquelle ne se réalisait jamais.

Si l’usine modernisée, en effet, eût licencié une partie de son personnel, c’est la voisine, la concurrente qui l’eût embauché : dans le bilan global de l’industrie allemande, les gages de la main-d’œuvre n’eussent donc pas baissé. Mais, en pratique,