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depuis un quart de siècle fait table rase de ses anciennes installations ; c’est annuellement, ou presque… Que devenaient alors les « tous amortissemens compris ? »

Question plus grave encore : a-t-on jamais constaté dans l’expérience quotidienne qu’un revenu net de 10 pour 100 rémunérât et garantit suffisamment le capital d’une affaire industrielle ? Les plus audacieux parmi les capitalistes français ou anglais auraient-ils risqué beaucoup d’affaires de cette sorte, alors même que, dans leur public, ils trouvaient sans peine des capitaux à 4 ou 4 et demi pour 100 ? L’usine allemande empruntait à 6 ou 7, pour obtenir du 10 net, tous amortissemens déduits, mais tous risques compris !… En ces conditions, on peut douter que ses calculs de risques aient été plus sages que ses calculs d’amortissement, lesquels, en vérité, étaient rendus tout illusoires par la condition essentielle de sa vie même, par sa perpétuelle innovation scientifique. Or, cette même innovation rendait aussi difficile tout calcul des chances heureuses et malheureuses : c’est à l’user, au bout de huit ou dix campagnes, qu’un procédé fait la preuve de son rendement ; mais bien avant qu’une technique eût fait ses preuves, l’usine allemande était déjà à la suivante, ou même à une autre encore.

Les seules gens d’affaires qui travaillent avec leurs capitaux, sont prudens en leurs espoirs de succès, réservés en leurs audaces de risques, exigeans en leurs tables d’amortissement. Le crédit enfle les espoirs, endort les scrupules et les craintes, et quand les gens de science deviennent inventeurs, on sait quelle confiance ils donnent aussitôt à leurs calculs théoriques : où l’architecte d’âge et d’expérience ne concède que 40 ou 45 pour 100 à la résistance théorique de ses matériaux, l’ingénieur débutant en accorde 60 ou 70, et c’est la ruine de sa muraille qui vient, en lui prouvant son tort, lui donner le maniement des théories et de leurs chiffres.

La savante usine d’Allemagne avait eu la prétention de débuter sans tenir compte des habitudes antérieures : à l’empirisme anglais et au petit métier français, à l’industrie de recettes et d’art, elle substituait la technique chiffrée et, devant un appel de la science, elle se moquait de l’ignorance anglaise, de la prudence française, de la timidité capitaliste. Elle n’était pas riche et, vivant de crédit, elle avait la même audace pour les énormes capitaux qu’elle empruntait et pour le maigre surplus