Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/880

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

industrie, c’est le rendement, la rémunération du capital engagé ; le présent, c’est ce capital à fournir ; mais le passé, lui aussi, est là, sous forme de capital précédemment dépensé, et tant que le passé n’a pas été amorti, il a des exigences que l’industriel ne néglige pas sans courir droit à la faillite. L’usine allemande a toujours considéré comme secondaire la question du présent, je veux dire du capital à engager ; elle a calculé au minimum la question de l’avenir, l’intérêt nécessaire ; elle a presque toujours négligé celle du passé, l’amortissement.

Devant un maître de forges de la Moselle, — raconte M. Cambon, — un jeune ingénieur exposait les résultats d’un procédé nouveau, en commençant par le coût de cette excellente innovation : « Vous renversez l’ordre, interrompit le patron ; dites-moi d’abord quels sont les avantages pour la qualité, l’économie, la rapidité ; vous me parlerez ensuite de la dépense, question secondaire, si les résultats la justifient. »

On peut dire que toute l’industrie allemande a été une spéculation scientifique de cette sorte : « Quand l’étude d’un procédé nouveau, — ajoute M. Cambon, — a démontré que son application donnera un résultat supérieur à 10 pour 100 du capital nécessaire, tous amortissemens compris, on peut être sûr qu’il est adopté, et l’exécution suit immédiatement la résolution ; il ne faut pas attendre que cette nouveauté ait vieilli. » C’est là encore une des règles fondamentales de la science, qui ne doit jamais ignorer, fût-ce un jour, la dernière vérité découverte ; car toute vérité vieillie a les plus grandes chances de tournera l’erreur. Mais sur quel barème solide un industriel peut-il calculer l’intérêt à 10 pour 100 d’un capital nécessaire, tous amortissenens compris, quand il lui manque la seule donnée indispensable, à savoir la durée de ces amortissemens ? Si l’usine allemande eût pris l’habitude de se renouveler tous les vingt ans de fond en comble, elle aurait eu les élémens de ce calcul. Si, de dix en dix ans, la technique évoluée lui avait imposé quelques innovations restreintes, elle aurait eu quelques méprises dans son bilan initial ; toutefois, à défaut de rester bon, le rendement eût encore été passable. Mais que deviendrait une science ou une industrie scientifique qui retarderait de vingt ans, de dix ans seulement ? Chaque jour apportant sa vérité ou sa technique nouvelles, et chaque année sa révolution, ce n’est pas de dix en dix années que l’Allemagne a