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peut nuire à l’industrie autant que trop de lumière à l’œil, ou trop d’oxygène au poumon.

Science et industrie ne sont pas termes synonymes, ni besognes semblables. Le savant s’applique à produire le plus mathématiquement, le plus directement et le plus grandement qu’il se peut ; il ne descend presque jamais au vil calcul des revenus et des dépenses : il veut créer, non gagner, ou, du moins, c’est de création plus que de bénéfices qu’il s’inquiète. L’industrie est moins grande dame : obligée de gagner sa vie, elle doit produire le plus économiquement, le plus simplement, et régler ses entreprises et ses frais, non pas sur des désirs de perfection ou des calculs de pure logique, mais sur les capacités et sur les demandes de sa clientèle.

On nous a fait, depuis vingt ans, bien des descriptions critiques ou flatteuses de l’usine allemande. Je n’en connais pas de plus exacte et de plus accessible au grand public français que le second livre de M. Victor Cambon, l’Allemagne au travail. L’auteur avait étudié l’Allemagne de 1887 en un premier ouvrage, où l’essor industriel de nos voisins était annoncé. Son second ouvrage en donnait, avec la courbe, quelques-unes des raisons les plus importantes. Cet homme du métier trouvait presque toujours à louer, rarement à blâmer. Mais, en 1908-1909, quand il écrivait son livre, les méthodes allemandes n’avaient pas encore produit toutes leurs conséquences et, posant les principes, l’auteur ne pouvait pas constater les résultats qui nous apparaissent aujourd’hui.

« L’usine allemande, dit M. Cambon, est généralement une très grande usine. Disparus, les établissemens exigus, vieillots, rapiécés, où des verrues successives ont poussé pour cause d’agrandissement sur la construction primitive. On laisse à d’autres pays le culte de ces souvenirs d’un autre âge : le patron allemand préfère démolir et déplacer ses vieux ateliers, parce qu’il estime plus coûteuses que les intérêts d’une reconstruction l’incommodité et les mains-d’œuvre excessives, inséparables d’une distribution irrationnelle. »

Scientifiquement, c’est là un excellent principe : la table rase a toujours été le seul terrain d’une spéculation vraiment scientifique. Mais la spéculation industrielle doit tenir compte d’autres nécessités. La science peut dédaigner le passé, n’étudier que le présent, ne regarder que l’avenir. L’avenir en