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commerciale. Cette exploitation mondiale de la science valait assurément de beaux profits au peuple allemand. Mais que devenait le monopole mondial de l’Allemagne ? Toute usine à l’allemande, ouverte sur un point quelconque de l’univers, lui faisait obstacle ; nombre de ces filiales n’attendaient que de grandir un peu pour battre leur nourrice, et certaines d’entre elles, établies en des lieux et sur des sols plus favorables, conquéraient une clientèle universelle, — aux dépens de l’Allemagne.

Car l’Empire était de moins en moins pourvu chez lui des richesses minérales et des matières textiles que réclamait sa conquête du monde : l’usine allemande devait tout faire venir des océans lointains ou des marchés anglo-saxons. L’Empire était aussi mal pourvu de ces sources d’énergie nouvelle que son technicien mettait à la place du charbon et de la vapeur, houille blanche, houille bleue et pétrole ; comparée à l’Italie, à la Roumanie, à la Suède, à la Russie, aux États-Unis, l’Allemagne n’en avait pas plus que de houilles noires, comparée à l’Angleterre. Aussi, la moindre usine à l’allemande, transportée sur la houillère anglaise, sur la cuivrière et la cotonnière américaines, sous les chutes de la Lombardie ou dans les champs pétrolifères des Alleghanys, était comme la semence d’un arbre tirée d’un sol ingrat et implantée dans le terrain le plus propre à sa vigoureuse croissance.

L’Angleterre de 1905 était guérie de sa crise d’impérialisme. Elle se remettait à l’effort studieux, aux livres, aux calculs, au laboratoire ; elle reprenait sa place dans les découvertes et les applications scientifiques. La France de l’automobile et de l’aéroplane, de la bactériologie et de la télégraphie sans fil retrouvait l’admiration et la confiance de l’univers, et quand l’humanité cherchait maintenant des yeux l’usine la plus moderne, la plus docile aux suggestions de la science, la plus apte et la plus prompte à en tirer parti, ce n’était plus vers l’Allemagne de Krupp qu’elle regardait : c’était vers l’Amérique d’Edison. La technique parfaite avait été le monopole de l’Allemagne bismarckienne : il ne restait à l’Allemagne de Guillaume II que celui du Kolossal. Or, ici encore, l’exemple et les vicissitudes de la marine marchande pouvaient donner les indications les plus dignes de foi sur l’aboutissement du « nouveau cours. »

Cette marine avait mis tout son avenir dans le Kolossal, croyant que plus ses cales prendraient d’ampleur, ses machines