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supériorité, c’était un bien mince écart et qui ne pouvait plus leur donner le premier rang dans le monde. Dans l’Allemagne et dans le monde de 1900 déjà, l’agriculture allemande ne trouvait plus pour ses produits les prix rémunérateurs d’autrefois, et elle était concurrencée chez elle par les grains étrangers, et elle était lourdement grevée chez elle par les prix de sa main-d’œuvre.

A mesure, en effet, que de plus nombreux et de plus grands ateliers augmentaient leurs offres d’ouvrage et de salaires, on voyait affluer dans les villes les travailleurs des campagnes, et dans les régions industrielles les émigrans des pays agricoles, en particulier dans le bassin de la Ruhr et dans les provinces rhénanes cette paysannerie slave de l’Oder et de la Vistule que le hobereau prussien considérait et traitait toujours comme une serve attachée à la glèbe : c’est par centaines de milliers que les Polonais prussiens venaient, — tels nos Bretons dans Paris, — se masser en quartiers spéciaux dans les grands centres de l’Allemagne occidentale. Quand l’agriculture prussienne aurait eu le plus grand besoin d’augmenter ses salaires pour conserver ses ouvriers, les traités Marshall-Caprivi faisaient entrer les seigles et les avoines, — les deux principales récoltes de l’Empire après les betteraves et les pommes de terre, — les fourrages et le bétail vivant, par toutes les frontières de terre et de mer, et les droits de douane étaient insuffisans à défendre les cours. La pomme de terre s’étant mieux tenue, l’Allemagne en pouvait encore exporter avec profit chez ses voisins. Mais les sucres tombaient d’une chute sans arrêt, devant la production croissante du monde :

PRIX DU SUCRE DANS LE COMMERCE DU GROS


1880 1885 1890 1895 1901
Cologne 64,9 50,2 35,6 31,4 20,7
Magdebourg 62,6 47,8 34 29,9 19,1

Ah ! les temps de bonne mémoire où, sous le grand Chancelier, l’agriculture était dans la joie, temporibus bonæ recordationis magni Caroli !…

« La législation économique de l’Empire avait deux moyens de tenir compte de ce bouleversement, écrit M. de Bülow. Elle pouvait accorder toute son aide à l’industrie et au commerce, qui grandissaient avec aisance, et pousser l’Allemagne vers sa transformation en un État exclusivement industriel et