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L’Angleterre avait été placée par la nature en face de cette Amérique du Nord, au-devant de notre Continent, mais tout au bord de notre quai européen, comme un spacieux appontement dont les dimensions, les formes et les abords s’offraient à tous les accostages, — et l’Angleterre était un bloc de houille en pleine mer : elle n’avait eu que quelques travaux et quelques dépenses à faire pour finir d’aménager ses rivages ; d’avance, la nature avait réuni là toutes les conditions et tous les instrumens d’un commerce universel.

Les côtes fangeuses et traîtresses, les mers plates et glacées de l’Allemagne ne regardent que les immensités désertiques du pôle. Elles n’ont jamais servi qu’au maigre transit entre la civilisation continentale et les solitudes nordiques. Si quelque jour l’humanité pouvait exploiter les océans polaires comme les autres, si le pôle Nord devenait le passage habituel entre la mer du Nord européenne et cette mer asiatique de Behring qui lui est symétriquement opposée au revers de la calotte, c’est aux côtes allemandes que les courans mondiaux amèneraient tout drovt le commerce désormais florissant de l’Amérique et de l’Asie polaires, et même, c’est par le détroit de Behring que viendraient à l’Europe les flottes du Japon et de la Chine, les minerais des Eldorados sud-américains, les fleurs et les fruits du Pacifique : Hambourg alors pourrait conquérir aux dépens de l’Angleterre la même suprématie que Liverpool obtint naguère aux dépens de l’Espagne et de la Hollande, le jour où l’Amérique tempérée remplaça dans nos alTaires l’Amérique tropicale. Ces temps viendront peut-être. Mais Hambourg eût mieux fait d’en attendre l’avènement, avant de risquer les frais d’une installation mondiale sur un emplacement où la nature avait rassemblé toutes les difficultés aquatiques et terrestres. Où les âges n’avaient déposé que sables et boues coulantes, on avait beau construire un sol résistant et des rives accores, et creuser en bassins profonds ces vases et ces lagunes, et toujours nettoyer ces bouches de l’Elbe dont les cent kilomètres de bancs à fleur d’eau se prolongeaient au loin dans la mer : tout l’or, toute la science, toute la discipline ne pouvaient pas faire que Hambourg fût à l’un des carrefours de l’humanité contemporaine.

Ah ! si l’Allemagne avait eu aux bouches de l’Escaut et de la Meuse Anvers, Rotterdam, Amsterdam, ces ports hollandais ou flamands qui avaient tenu pour l’Europe le rôle actuel de