Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/856

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Son œuvre économique de 1880 à 1830 ne fut pas aussi grande, mais fut encore plus belle que son œuvre diplomatique de 1860 à 1880. Son protectionnisme fut combiné si habilement que, tout en défendant le hobereau et la terre, il n’entrava ni l’industrie ni le commerce. La ferme prussienne retrouva pour ses produits des cours rémunérateurs ; l’usine allemande couvrit néanmoins le territoire de ses fabriques et de ses ateliers décuplés :

COMMERCE SPECIAL DE L’EMPIRE ALLEMAND (en millions de marks)


1872 1878 1884 1890
Importations 3 257 3 513 3 860 4 145
Exportations 2 318 2 887 3 204 3 226

Ces chiffres du commerce extérieur ne donnent encore qu’une faible idée du travail de l’Empire durant l’ère bismarckienne. En affaires commerciales comme en affaires diplomatiques, l’Allemagne de Bismarck vivait pour elle-même et sur elle-même beaucoup plus que pour le monde extérieur. Elle était occupée à effacer chez soi les traces des trois ou quatre siècles de guerres qui l’avaient dévastée, démeublée et démunie. Sur le chemin de la civilisation matérielle et du bien-être, elle se voyait en retard de plusieurs générations, derrière la France et l’Angleterre : elle n’avait encore qu’un drap dans ses lits, quand elle en avait un ; elle continuait d’habiter les ruelles et les vieilles murailles de ses villes moyenâgeuses. Mais, en commerce comme en diplomatie, Bismarck la tenait plutôt sur la défensive : il s’efforçait d’écarter du marché allemand les concurrens étrangers bien plus que de pousser les produits allemands sur les marchés de l’Europe et du monde. Le commerce extérieur ne représentait donc que la moindre part de l’activité allemande. Quiconque avait vu l’Allemagne de 1871 et revoyait celle de 1890 admirait les résultats grandioses de l’effort bismarckien ; mais aucune statistique ne saurait les chiffrer aujourd’hui ; la vie quotidienne échappe aux mesures de l’homme ; les chiffres en notent quelques-uns des aspects extérieurs ; ils ne peuvent jamais en traduire l’intensité profonde ni le jaillissement et la verve épanouie. Continué jusqu’à nos jours, l’examen des chiffres donnerait peut-être la conviction qu’après l’ère de Bismarck (1871-1891), l’ère de Guillaume II