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source des richesses, Rome tenait sous la loi toutes les terres fertiles et même toutes les terres cultivables du monde connu : sur le pourtour entier de la Méditerranée, nourrice de l’humanité raisonnante, centre et foyer de la civilisation d’alors, le domaine romain s’étendait jusqu’aux limites de l’horizon, où la barbarie semi-nomade ne possédait plus que des forêts inondées, des plaines glacées ou des déserts inaccessibles ; Rome avait tout le vignoble, toute l’olivette, tous les guérets alors soumis à la houe et à la charrue.

La transformation en grand des matières premières, l’industrie des ateliers, commençait à peine ; mais chaque villa romaine, ayant son tissage et sa forge, se suffisait à soi ; ses troupeaux, ses cultures, sa forêt et les carrières du voisinage lui fournissaient tous les matériaux bruts, et la glèbe romaine avait en surabondance la seule énergie que l’homme eût encore tournée contre la nature : le muscle animal ou servile. Au service des ateliers urbains, qui travaillaient les matières coûteuses et les nobles métaux, Rome possédait aussi tous les gisemens métallifères, car elle avait l’Espagne, « ce coffre-fort de l’éternité, » comme disait Strabon, d’où le cuivre, l’or et l’argent lui arrivaient en lourds convois ; même en Gaule, elle avait ses argentières et ses laveurs d’or, et l’étain des Cornouailles lui donnait le monopole du bronze que, seule, dans un autre monde, — on pourrait dire : dans une autre planète, — la Chine d’alors était à même de fabriquer pareillement.

Enfin, la Méditerranée étant le champ du commerce universel, les ports italiens étaient au carrefour de toutes les navigations et, sur terre, Rome possédait les chemins de pierre, les voies dallées dont ses légionnaires avaient sillonné leurs conquêtes. Grâce à ce merveilleux instrument de transports et de voyages rapides, dont aucun peuple avant les Romains n’avait conçu l’ambition, dont ils étaient encore les seuls au monde à disposer, ce n’était qu’en terres romaines, sous la règle de la paix et le règne de la loi romaines, que le commerce pouvait exister : le barbare le moins soumis trouvait encore son bénéfice à franchir le seuil romain pour vendre ses captifs, ses troupeaux ou ses bras et pour acheter sa nourriture, ses armes, ses étoffes et la parure de ses femmes. Rome, tête du monde, Rome, patronne et législatrice du genre humain, présidait à la vie économique comme à la vie militaire et juridique de