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de semblable ; pas d’administration véritable capable de recevoir ou de communiquer l’impulsion partie du centre. De plus, il faut noter un esprit particulariste très marqué dans les provinces, chacune de celles-ci habituée depuis des siècles sous le débile gouvernement des empereurs mandchoux à une quasi indépendance ; aucune sympathie, ni dans les masses, ni dans l’élite de la nation pour la personne du lointain personnage enfermé dans le palais impérial de Pékin, à l’abri de la bombe et du revolver qui le guettent. Les élémens nécessaires, pour constituer une dictature effective et bienfaisante, manquent donc, dans ce pays, à peu près absolument. Aussi bien, la proclamation de l’Empire ne pourrait-elle rien changer à la situation ; elle ne pourrait constituer qu’une stabilisation, d’ailleurs illusoire, de ce qui existe actuellement. Ce n’est qu’un mot, et rien de plus, une étiquette nouvelle appliquée sur le régime paralytique qui tient la Chine immobile depuis deux ans, régime qui, à cet égard, a fait ses preuves et finalement laisse en souffrance les intérêts des étrangers dans le pays.

Mais ce mot a, pour les républicains qui ont fait la révolution, une extrême importance, car ils connaissent la valeur des formes. Depuis que le mouvement de restauration monarchique a été organisé par les agens de Yuen Chekai, des prodromes de révoltes sont apparus inquiétant vivement les Européens et les Américains résidant dans le pays. En ces dernières semaines, ceux-ci s’inquiétaient de la reprise du mouvement d’agitation terroriste qui secoua le pays dans les dernières années de l’Empire et contribua si puissamment à la révolution.

Toute liberté ayant été supprimée, toute revendication libre étant devenue impossible, les constitutionnalistes les plus militans, redevenus révolutionnaires depuis le coup d’Etat de 1913, ont repris, ça et là, la lutte sanglante. Déjà, l’an dernier, le président fut obligé de faire fusiller un de ses propres secrétaires, qui projetait de l’assassiner. Il y a peu de temps, le gouverneur de Canton, le général Long Tsikouang, était l’objet d’une tentative de meurtre politique qui ne réussit pas ; à Changhai, l’amiral Tseng échappa également à la mort par miracle[1] ; ces deux personnages sont des protagonistes de la

  1. Depuis que nous avons écrit ces lignes, l’amiral Tseng a été tué à Changhai par un républicain. Le directeur, à Tokyo, des étudians chinois, qui avait fondé un groupe monarchiste a été également assassiné.