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passer invisibles les unes sous les autres avec une dextérité incomparable.

Dans tous les cas, la révélation des demandes produisit, chez les Chinois et chez les étrangers, une profonde sensation ; les premiers craignirent pour leur indépendance nationale et commencèrent un boycottage patriotique ; les seconds, redoutant une décadence irrémédiable de leur influence politique, concentrèrent leurs efforts pour influer sur l’attitude du Japon. Sir Edward Grey devint leur porte-parole ; il engagea l’allié de la Grande-Bretagne à tenir compte des situations acquises en Chine par l’Angleterre, la France, les États-Unis et les autres Puissances, formant bloc derrière lui. Les discussions, habituelles en pareille circonstance, se poursuivirent ; on se fit de mutuelles concessions ; finalement, le Japon obtint tous les avantages considérables d’ordre économique qu’il avait demandés et retira, provisoirement d’ailleurs, son fameux cinquième groupe, c’est-à-dire, sa demande de protectorat déguisé.

Quant au dictateur chinois, cette nouvelle formation de deux groupemens adverses lui ramenait la possibilité de continuer encore la vieille politique de bascule traditionnelle à Pékin et ainsi de ne dépendre, jusqu’à nouvel ordre, ni des blancs ni des jaunes. Comme il arrive toujours en pareil cas, c’était ce tiers qui gagnait le plus dans l’aventure. Tout en donnant satisfaction au Japon en vue d’un soutien éventuel de ses projets, il gardait l’appui des blancs et pouvait encore espérer tirer quelques fonds du consortium dont les élémens se trouvaient toujours groupés à Pékin ; au début de septembre 1915, en effet, le groupe des cinq Puissances, tout comme s’il n’y avait pas eu la guerre en Europe, remettait encore à Yuen Chekai une douzaine de millions de francs, afin qu’il pût maintenir à flot le navire qui porte sa fortune.


Pendant les négociations entre les diplomates japonais et Yuen Chekai devenu, en l’espèce, une sorte d’intermédiaire entre son adversaire jaune et le consortium, la Russie observait une très grande réserve. Depuis le début de la guerre, en effet, ses relations avec le Japon s’étaient resserrées. La perspective de l’ouverture des Dardanelles vint encore contribuer au rapprochement en rendant inutile, dans l’avenir, toute