Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/823

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


L’histoire des relations du Japon, et de la Russie jusqu’en ces dernières années est celle d’un conflit tantôt latent, tantôt manifeste. Les tendances profondes de la politique extérieure devaient fatalement séparer les deux peuples et même les porter à agir l’un contre l’autre.

Forcé par la nature du sol, par le développement continu de sa population insulaire, de chercher un exutoire au dehors, le Japon jetait des regards d’envie sur le pays le plus proche : la Corée. La nature même lui indiquait que c’était par-là qu’il pourrait pénétrer sur le continent et ensuite s’y établir. Déjà en 1876, il avait réussi à y prendre pied et à faire signer un traité à son avantage par le roi de Corée. Celui-ci était vassal du faible empereur qui régnait à Pékin. S’emparer d’un pays gouverné par des souverains débiles, est une entreprise tentante ; toute la politique du Japon, depuis environ un demi-siècle, démontre que le gouvernement des mikados pensait continuellement à la réaliser.

De son côté, la Russie n’ayant point, en Europe, d’issue vers la mer libre, en cherchait une en Extrême-Orient, sur une côte du Pacifique. Il ne pouvait lui suffire, en effet, déposséder le port de Vladivostok, bloqué par les glaces chaque année de décembre à avril. Les hommes d’Etat russes portaient donc continuellement des regards d’envie bien plus au Sud, du côté des rivages coréens, de la Mandchourie méridionale qui borde le golfe du P’tchili, et vers la Chine elle-même. Ils attendaient le moment où la monarchie chinoise, incapable et décadente, laissant tomber en décomposition le pays où elle vivait en parasite, permettrait quelque partage de ses dépouilles.

La guerre de 1894-1895 entre la Chine et le Japon vint frustrer ces espoirs. Lors du traité de Shimonoseki, qui en fut la conclusion, le Japon victorieux sur terre et sur mer reçut, non seulement la liberté d’action en Corée, mais aussi la presqu’île du Liaotong, dans la Mandchourie du Sud, où se trouvait le port de Liukountchéou dont il s’était emparé au cours des opérations militaires.

Ce port, admirablement situé, protégé du côté même de la mer par des collines élevées et abruptes, véritables murs naturel, d’une forteresse, possédant une entrée étroite facile à défendre,