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pourroit faire. Si ordonna tantost pour le conduire quatre galées, lesquelles il bailla en gouvernement au bon seigneur de Châteaumorant. Si se partit à tant l’Empereur, et le Mareschal le convoya jusques au cap Saint Angel (Saint-Ange).

« Quand là feurent arrivez, viendront au Mareschal les messaigers des Vénitiens qui avoient sceu comme il avoit baillé quatre de ses galées pour convoyer l’Empereur. Si dirent que ils estoient délibérez s’il leur conseilloit d’envoyer aultres quatre[1], pour plus seurement le mener où il vouloit aller. À ce respondit le Mareschal que ce seroit très bien faict, et grand honneur à la Seigneurie de Venise et au capitaine d’icelles galées. A tant preint congé l’Empereur du Mareschal, et moult le remercia, et aussi les Vénitiens. Si s’en partit, et teint son chemin droict à Constantinople. »

Nous ne savons rien, on le voit, de ce second et court séjour de l’empereur à Mistra auprès du despote Théodore, son frère. Cependant M. Berger de Xivrey croit devoir attribuer à cette époque où Manuel attendait ainsi l’arrivée de Boucicaut une petite pièce de lui, dont le sujet indique bien clairement la date et qui est elle aussi conservée à la Bibliothèque nationale. « C’est, dit-il, un amer sarcasme mis, à la manière des exercices des anciens rhéteurs, dans la bouche de Tamerlan contre Bajazet, son prisonnier. Voici, en effet, la traduction du titre de la pièce : Quelles paroles dut adresser le chef des Perses et des Scythes au Tyran des Turks, dont le ton était si plein d’orgueil et d’insolence, et la jactance si insupportable pendant sa prospérité, et qui se montra tout l’opposé après sa défaite. Le souvenir de l’oppression tyrannique dont il avait plus d’une fois failli être victime, poursuit M. Berger de Xivrey, allume la verve de Manuel dans ce morceau très court et dont la prosopopée est fondée sur un des mille bruits contradictoires qui circulaient au sujet de l’attitude réciproque du vainqueur et du vaincu après la bataille d’Angora. Manuel, adoptant un récit peu vraisemblable, et qui représentait Bajazet comme s’humiliant devant Timour, fait, entre autres paroles, dire à celui-ci :

… « Tu ne me blesses pas moins qu’auparavant, en abjurant

  1. Il y a là une erreur de l’historien de Boucicaut. D’après ce que dit Marino Sanuto de trois galères déjà accordées au départ de Venise, ce renfort envoyé au cap Saint-Ange dut être seulement d’un quatrième bâtiment donné en sus par les Vénitiens.