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personnages, chacun selon son rang. Un somptueux banquet les attendait, servi à l’Hôtel Saint-Pol, alors encore demeure royale. Sur ce banquet où des discours durent être échangés par interprètes et où la Cour de France déploya certainement la plus grande magnificence, nous n’avons pas d’autre détail. Plus tard, le même cortège conduisit l’empereur aux appartenons qui lui avaient été préparés au Palais du Louvre. « Et estoit l’hostel, dit Jean Juvénal des Ursins, très bien habillé et paré, et là l’Empereur tenoit son estat aux despens du Roy. »

Chose amusante et curieuse, parmi les objets de prix entassés dans cet appartement, il y avait une tapisserie d’une si grande beauté qu’elle fit l’admiration de l’impérial visiteur. Il la trouva tellement de son goût qu’il s’est amusé à la décrire dans ses plus grands détails, dans une des pages les plus élégantes écrites de son écriture même qui, par bonheur, nous soient parvenues de lui. Ce devait être certainement une de ces magnifiques tapisseries des Flandres alors si à la mode. L’empereur, accoutumé aux seules tentures orientales, arabes, persanes ou byzantines, n’avait jamais rien vu de pareil. Sa description est intitulée : Représentation du Printemps sur une tapisserie royale qui est au palais royal à Paris.

Ce détail est déjà fort intéressant, mais, par une véritable bonne fortune, dans cette correspondance manuscrite de Manuel qui nous a été conservée et qui est à la Bibliothèque nationale, une trace demeure encore bien plus nette de son séjour en France. C’est une lettre non datée, certainement rédigée à Paris, adressée par l’empereur à un de ses familiers, Kyr[1] Manuel Chrysoloras, et qui a été publiée pour la première fois par M. Berger de Xivrey. En voici la traduction telle que cet érudit nous l’a donnée.


« Au seigneur Manuel Chrysoloras :

« Bien des fois nous avions voulu t’écrire ; mais la main retombait, faute d’avoir rien à te marquer qui te pût faire plaisir. Le voyage était pénible et les incidens n’avaient rien de gracieux. À cela ajoute la différence de langage, qui nous privait de lier conversation comme nous l’aurions voulu avec des

  1. « Seigneur. »