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devinrent plus vives, ce fut bien vite de l’affolement. On vit des gens prévoyans envahir les épiceries, acheter à tout prix les denrées de première nécessité, s’approvisionner comme à la veille d’un siège. En même temps, commença l’exode des étrangers.

Le 31 juillet, au matin, une nouvelle alarmante se propagea rapidement dans la ville : les ponts de la Moselle avaient été barricadés du côté de l’Allemagne. M. Eyschen prit la peine de venir me voir, ainsi que mes collègues de France et d’Italie[1]. Il voulait, disait-il, nous rassurer en nous apportant des renseignemens exacts. Des informations recueillies par la gendarmerie, il résultait que, pendant la nuit, la route avait été effectivement barrée sur la rive allemande, à l’extrémité des ponts de Schengen, de Remich et de Wormeldange, mais seulement en vue de vérifier l’identité des personnes qui passaient en voiture ou en automobile. Les barrières avaient été enlevées dès le matin.

Ce qui, à ce moment, préoccupait le plus vivement les autorités luxembourgeoises et les dirigeans de la grande industrie était la perspective de devoir éteindre les hauts fourneaux, faute de combustible. On disait, en effet, que les arrivages de coke de la Westphalie étaient arrêtés. Que ferait-on des milliers d’ouvriers qui se trouveraient sans travail ? Le comte délia Torre di Lavagna, ministre d’Italie, craignait de voir la situation devenir fort critique pour ses nationaux, particulièrement nombreux dans le canton d’Esch-sur-l’Alzette.

Dans le courant de la journée, on apprit que la Cour grand-ducale, qui devait, très prochainement, partir pour Hohenburg, avait provisoirement renoncé à son séjour en Bavière. A trois heures de l’après-midi, M. Eyschen me communiquait le télégramme qu’il venait de recevoir, et d’après lequel l’état de guerre était proclamé dans toute l’Allemagne, sauf la Bavière, en vertu de l’article 68 de la Constitution de l’Empire. A cinq heures, la publication de cette nouvelle par les éditions spéciales des journaux provoquait une véritable panique. Quantité de personnes se décidaient à quitter le Grand-Duché, craignant de voir les communications interrompues. Déjà on annonçait que les trains ne circulaient plus dans la direction de Trois-Vierges. Renseignemens pris, les seuls trains supprimés étaient

  1. L’Allemagne, la Belgique, la France et l’Italie étaient les seuls pays représentés par des diplomates à résidence fixe dans le Grand-Duché.