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de l’an 1370 et son triste séjour d’alors. Le doge alla en grande pompe à sa rencontre jusqu’à l’entrée de la Lagune, monté sur le fameux Bucentaure. C’était au plus beau temps encore de la richesse et de la puissance vénitiennes. Le Sénat tout entier rendit les plus grands honneurs à l’impérial voyageur. Il fut somptueusement logé dans le palais du marquis de Ferrare. On dépensa de grosses sommes, plus de deux cents ducats, pour lui donner une fête. Il eut avec le grand conseil de la République plusieurs conférences où il put exposer en toute liberté la situation presque désespérée de l’empire. On l’écouta avec la plus extrême sympathie. On lui fit les plus belles et les plus solennelles promesses de secours. Le soir, sans doute, sur la place Saint-Marc et sur le quai des Esclavons, sous les piliers augustes du palais ducal, Byzantins et Vénitiens devisèrent avec une émotion soutenue du terrible Bajazet, ce fléau du monde chrétien, et de ses farouches et innombrables soldats, déjà répandus par centaines de mille dans la péninsule des Balkans. Les chroniqueurs italiens qui nous donnent ces bien rares informations sur le séjour du basileus Manuel dans la grande cité vénitienne, le désignent presque constamment sous le nom de Chiaramomolle. L’auteur de la Vie de Boucicaut l’appelle Karmanoli. L’une comme l’autre de ces appellations n’est qu’une déformation de la forme grecque régulière Kyr Manouel, le Seigneur Manuel. Boucicaut, dès l’arrivée du basileus à Venise, avait poursuivi sa route, voulant, nous l’avons vu, préparer la réception de celui-ci à Paris et expliquer les causes de cet impérial voyage.


III

En quittant Venise, après un séjour dont nous ignorons la durée exacte, l’empereur, poursuivant sa route vers l’Ouest, se rendit à Padoue. Avant d’y faire son entrée, il fut successivement rejoint par deux des fils du seigneur de cette ville, François de Carrare. Les jeunes princes étaient accompagnés de la plus brillante suite, toute la noblesse padouane, qui fit cortège à l’empereur jusqu’à la cité. Tous ces honneurs avaient, singulièrement retardé la marche de cette magnifique cavalcade. Quand on atteignit la Porte de Tous-les-Saints, par laquelle se fit l’entrée dans Padoue, il était une heure du matin.