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Maintenant, le silence se fera de plus en plus autour de cet homme qui a rempli le monde du bruit de son nom et, lorsque le rideau tombe sur lui, on dirait qu’il est oublié.

Nous ne trouvons plus rien dans ses actes ni dans son langage qui vaille d’être retenu par l’Histoire, si ce n’est les incidens caractéristiques qui suivirent son trépas et qui prouvèrent que, même à l’approche de sa fin, sa haine ne désarmait pas.

On sait qu’il mourut le 30 juillet 1898, à onze heures du soir, entouré de ses deux fils Herbert et Wilhelm, de sa fille la comtesse de Rantzau, de son gendre et de son médecin, le célèbre professeur Schweninger., Aussitôt après sa mort, la question se posa entre eux de savoir sous quelle forme elle serait annoncée à l’Empereur. Héritiers de ses ressentimens, ses enfans se refusèrent à l’annoncer eux-mêmes, et c’est le médecin qui signa le télégramme adressé à Guillaume II. Celui-ci était à Bergen, en route pour revenir à Kiel. Il envoyait sur l’heure une dépêche à Herbert, dans laquelle il déplorait « la disparition du fondateur de l’empire allemand et du fidèle serviteur de ses prédécesseurs. » Puis, il pressait son retour à Berlin, ayant hâte d’aller en personne porter à Friedrichsruhe ses condoléances.

Intérieurement, il se félicitait de s’être réconcilié avec Bismarck et de s’être assuré ainsi la possibilité de rendre à sa mémoire un hommage éclatant. Mais, si puissant qu’il fût, il n’était pas le maitre de conjurer les témoignages de la rancune posthume du défunt, à laquelle s’associait sa famille. Cette rancune se dresse devant lui.et c’est par une suite de procédés désobligeans que la famille répond à ses offres empressées et flatteuses.

Il aurait voulu que l’ex-chancelier fut enterré au Dôme où un monument serait élevé à sa mémoire. Mais, au désir qu’il exprime, les fils du défunt opposent les dispositions testamentaires de leur père. Il y est stipulé qu’il sera inhumé à Friedrichsruhe à côté de sa femme et qu’on gravera sur sa tombe l’inscription suivante : Prince de Bismarck, mort en vrai Allemand et fidèle serviteur de Guillaume Ier. En annonçant sa visite à Friedrichsruhe, Guillaume avait demandé à faire prendre un moulage de la tête du mort et exprimé le désir de contempler ses traits une dernière fois. Mais quand le mouleur envoyé par lui se présente, on lui refuse l’accès de la chambre mortuaire et, quand lui-même arrive, le cercueil est déjà cloué. Il est reçu, d’ailleurs, avec une froideur marquée. Contrairement