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permettrait pas. Après le Congrès de Berlin, il l’avait dit au comte de Saint-Vallier, alors ambassadeur en Allemagne ; depuis il l’avait répété à M. Jules Herbette. Il s’était en outre efforcé d’inspirer aux Français et aux Russes une défiance réciproque.

— Vous avez bien tort, disait-il à ceux-ci, d’encourager les espérances de la France. Vous n’en tirerez jamais rien. La forme de son gouvernement la condamne à l’impuissance. En lui manifestant vos sympathies, vous ne faites que l’exciter, la pousser à la guerre. Elle s’y jettera quelque jour, convaincue que vous êtes derrière elle, et vous aurez ainsi encouru des responsabilités dont l’Europe vous demandera compte.

Aux Français, c’était un autre langage, mais tendant au même but :

— Vous commettriez une lourde faute si vous preniez au sérieux les sourires de la Russie. Pour elle comme pour nous, vous êtes un foyer révolutionnaire. Elle vous hait. D’ailleurs, consentît-elle à s’allier avec vous, il faudrait encore compter avec moi et, tant que je serai le maître, je saurai bien l’empêcher. Je ne veux pas m’exposer à me trouver un jour entre deux ennemis.

Cependant, lui parti, la sottise avait été commise ; l’alliance franco-russe existait. Il en imputait la responsabilité à l’Empereur et à Caprivi, et c’est surtout de cette faute qu’il parlait lorsqu’il déclarait qu’il n’était plus en son pouvoir d’y remédier. Mais ses amis se refusaient à le croire. Malgré ses avertissemens, ils interprétaient l’invitation qu’il venait de recevoir de Guillaume II comme la preuve qu’il allait recouvrer son ancienne influence. Ils dressaient déjà des listes de proscription. Caprivi, les ministres Botticher et Marschall avec leurs principaux collaborateurs seraient sacrifiés. Le comte Botho d’Eulenbourg était leur candidat à la chancellerie. Mais leurs espérances allaient tomber en poussière ; il suffit d’une journée pour les dissiper.

Après s’être engagé à venir rendre hommage à l’Empereur, sans vouloir préciser la date de sa visite, Bismarck maintenant se montrait pressé de tenir sa promesse. Les pourparlers engagés à ce sujet entre lui et le cabinet de l’Empereur eurent pour résultat de fixer au 25 janvier sa venue à Berlin. Mais déjà la visite perdait de son importance. Alors qu’on avait cru que Bismarck passerait plusieurs jours au palais impérial, on apprenait qu’il n’y resterait que quelques heures. Il est vrai