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III

C’est au retour de Bismarck à Friedrichsruhe qu’on voit surgir autour de lui un nouveau personnage, le pamphlétaire Maximilien Harden. Cet ancien acteur ambulant, n’ayant pas réussi sur les planches, s’était jeté dans le journalisme. Au-delà de sa trentième année, il y végétait encore, lorsque quelques satires politiques signées d’un nom d’emprunt attirèrent l’attention sur ses écrits. Ils tombèrent sous les yeux de Bismarck ; il fut frappé par la verve agressive qu’y déployait l’auteur, par l’originalité de ses appréciations, la logique impitoyable de ses raisonnemens, l’audace et la brutalité de ses attaques et enfin par la forme pittoresque et vivante sous laquelle il exprimait ses idées. Dans ce satiriste encore inconnu, véritable condottiere de plume dont aucune crainte ne paralysait les élans, il devina l’homme le mieux fait pour devenir sous son inspiration l’instrument de ses rancunes et l’exécuteur de ses vengeances. Il se mit en rapport avec lui, le manda à Friedrichsruhe, l’honora de ses confidences et finalement l’enrôla à son service.

Bientôt après, sous la direction de Maximilien Harden, paraissait un organe nouveau, la Zukunft. Ce recueil périodique rappelait de loin la fameuse Lanterne d’Henri Rochefort, qui fut en France, vers la fin du second Empire, comme une pièce d’artillerie incessamment pointée contre l’empereur Napoléon III et contre le monde de la Cour. Seulement, dans les élucubrations souvent calomnieuses de la Lanterne, Rochefort ne s’inspirait que de lui-même, n’écoutait que sa fantaisie, sans souci de la justice et de la vérité, tandis que derrière le pamphlétaire de la Zukunft, il y avait un inspirateur inlassable dont l’expérience et la compétence servaient la haine, un pointeur habile qui savait vers quel but devaient être dirigés les coups pour faire le plus de mal.

C’est lui qui conseille Harden, qui le guide à travers les intrigues de la vie publique de l’Empire, qui lui fournit des sujets d’articles, qui discute, rectifie, écarte ou approuve ceux dont ce collaborateur improvisé a pris l’initiative. Jusqu’à la mort de Bismarck, Harden a été son porte-paroles et, depuis sa mort, le défenseur de sa mémoire. S’étant engagé à la défendre, il a tenu sa promesse, parfois même au prix de sa liberté, car