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banales. La veille, il avait eu soin de ne pas se trouver au Ballplalz lorsque Bismarck y était venu, et de lui rendre sa visite à un moment où le flot des visiteurs rendait impossible toute conversation confidentielle. Du reste, en apprenant que Bismarck devait venir à Vienne, il avait dit :

— Il se fait de grandes illusions, s’il croit qu’il pourra être reçu ici par le monde officiel et tourner le dos à son souverain.

La prédiction se réalisait ; dans le milieu qui touchait à la Cour, Bismarck ne rencontrait qu’éloignement et froideur.

L’ambassade d’Allemagne à Vienne était alors occupée par le prince de Reuss, personnage de haute naissance, mais réduit à une honorable pauvreté, ce qui l’avait obligé d’accepter ce poste. Il avait reçu de Berlin l’ordre d’ignorer le voyageur pendant son séjour à Vienne. Défense lui était faite de le recevoir et d’assister à la noce. Lié de vieille date avec lui, il s’était décidé, pour se tirer d’une situation difficile, à quitter Vienne momentanément. Mais, prêt à partir, il s’était trouvé souffrant, et, Bismarck s’étant présenté à l’ambassade, il n’avait pas voulu lui fermer sa porte. Ne pouvant lui rendre sa visite, il avait envoyé sa femme à sa place. Lorsque, quelques jours plus tard, la chancellerie de Berlin lui demanda des explications sur sa conduite, il refusa fièrement d’en rendre compte, en alléguant que, comme ambassadeur d’Allemagne, il avait rempli son devoir et que, comme particulier, il ne devait obéissance à personne. L’incident n’eut pas de suites : la princesse de Reuss était la fille de la duchesse régnante de Saxe-Weimar ; elle avait rang d’Altesse, et il convenait d’user de ménagement envers son mari.

Les détails qui précèdent permettent de mesurer à quelles agitations donnait lieu la présence de Bismarck à Vienne. Mais il semblait les avoir prévues et y rester complètement insensible, soucieux surtout de jouir de sa popularité. Cependant une cruelle déception lui était réservée. Son fils l’ayant informé, avant qu’il ne quittât Friedrichsruhe, que l’empereur François-Joseph le recevrait, il avait, en arrivant à Vienne, demandé une audience. En réponse à sa demande, il reçut un refus ne* et péremptoire, dicté au souverain par la conduite de Bismarck, et plus encore par une lettre de Guillaume II, lui demandant, comme un service personnel, de s’abstenir de tout rapport avec l’ex-chancelier. La vassalité de l’Autriche, sous le joug de