Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/773

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demander ce qu’il y avait de vrai dans ces bruits. On a raconté que Guillaume II haussa les épaules et répondit d’un ton d’impatience : « Nous n’avons jamais été, Bismarck et moi, plus éloignés d’une réconciliation. »

C’était vrai pour lui et ce n’était pas moins vrai pour le solitaire de Friedrichsruhe. Sa vieille colère le possédait toujours, et la réponse de l’Empereur, à supposer qu’il l’eût connue, n’était pas faite pour l’apaiser. Elle s’accrut encore par suite d’un procédé discourtois dont il fut l’objet, qui le blessa profondément dans son intraitable orgueil.

Le parti national wurtembergeois, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa constitution, avait adressé des dépêches de fidélité à Guillaume II, au roi de Wurtemberg et au prince de Bismarck. Mention fut faite des deux premières dans le Journal officiel de l’Empire ; mais on passa sous silence celle qu’avait reçue l’ex-chancelier. Donnant carrière à son irritation, il démentit brutalement, dans les Nouvelles de Hambourg, ce qui avait été dit sur son fils. Le rédacteur de cette note s’indignait qu’on eût osé insinuer que, dans les circonstances présentes, un Bismarck avait sollicité un emploi.

Il est piquant de constater que le démenti ne convainquit personne. Durant un certain temps encore, le bruit persista d’une réconciliation prochaine, que consacrerait une visite solennelle de Bismarck à Berlin. On ajoutait, il est vrai, que pour s’y prêter, l’Empereur exigeait une lettre de soumission et que Bismarck se refusait à l’écrire. Mais ce n’étaient là que propos et commentaires de courtisans, ou, pour mieux dire, de tous ceux qui s’étaient coalisés pour essayer de renverser Caprivi. Tout ce qu’ils faisaient et tout ce qu’ils firent par la suite pour rapprocher Bismarck de l’Empereur était dirigé contre le nouveau chancelier, à qui d’ailleurs son prédécesseur ne pardonnait pas de l’avoir remplacé. On eut même ce singulier spectacle de Bismarck s’unissant à ses ennemis d’hier et notamment au général de Waldersee pour précipiter la chute de son successeur, ce en quoi il se montrait aussi injuste que malhabile, puisque, au même moment, Caprivi plaidait auprès de Guillaume II la nécessité d’une réconciliation. En réalité, les cancans qui circulaient à la Cour étaient aussi dépourvus de fondemens que de vraisemblance ; on allait en avoir la preuve : c’est Bismarck lui-même qui se préparait à la donner en profitant du mariage de son fils.