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la conduite du chef ; il constatait avec regret l’affaiblissement de ses facultés intellectuelles :

« Il mange de bon appétit et dort toute la nuit, mais sa mémoire s’en va par morceaux. Il ne peut plus concentrer ses idées, il ne se souvient pas exactement des détails. Il raconte un jour une histoire et la raconte le lendemain tout différemment. On ne peut avoir aucune confiance dans ses récits, parce qu’il croit souvent qu’il a dit ou fait une chose, alors qu’il a eu simplement l’intention de la dire ou de la faire. Il continue à vouloir donner des avertissemens et des leçons et il choisit des sujets qui n’ont rien à faire avec sa propre vie et que, parfois, il ne connaît même pas du tout. Il devient de moins en moins prudent dans ses confidences aux journaux. Son attitude vis-à-vis de la Cour n’est pas assez digne et il laisse trop percer son ressentiment. Il passe tout son temps à lire les journaux. A part cela, il est devenu apathique, indifférent et comme rassasié de tout. »

On ne saurait méconnaître l’importance de ces révélations où nous pouvons voir s’accuser de jour en jour la déchéance morale, qui a été pour Bismarck la conséquence de la chute et de l’exil et qui lui a fait considérer la vengeance comme le but définitif de sa vie. Ce n’est plus en effet que pour se venger que nous allons le voir retrouver parfois encore son ancienne énergie et la perfide ingéniosité de ses combinaisons ténébreuses.


II

Au mois de mai 1802, le bruit se répandait à Berlin, dans le monde de la Cour, qu’Herbert de Bismarck allait se marier. Bientôt après, lui-même écrivait à l’Empereur pour lui annoncer ses fiançailles : il épousait une riche héritière, la jeune comtesse Hoyos dont la famille résidait à Fiume en Autriche. Guillaume II répondit à cette communication par un télégramme empreint de cordialité et que le destinataire ne se fit pas faute de faire lire à ses amis. Les journaux en ayant eu connaissance signalèrent l’amabilité du langage impérial comme un signe avant-coureur de la rentrée en grâce des Bismarck, et laisseront entendre que l’ancien secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères allait être de nouveau pourvu d’un grand poste. Ce fut dit et répété avec tant d’insistance qu’un personnage de la Cour, voulant en avoir le cœur net, osa interroger l’Empereur et lui