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allant à Francfort où je l’accompagnais que Sa Majesté m’avait fait "part de sa volonté, mais il m’était défendu d’en parler sans son ordre ; j’étais engagé par serment. J’ai donc été obligé de mentir, et à mon grand regret. Je n’aime pas à ne pas dire la vérité.

Il est bien évident qu’un homme qui professait de tels principes ne pouvait conserver bien longtemps le pouvoir, et c’est en effet pour avoir trop souvent dit la vérité et pour avoir voulu gouverner loyalement qu’un peu plus tard, Caprivi devait succomber sous les intrigues déchaînées contre lui. Mais l’heure de sa chute n’était pas venue. L’Empereur, bien que sollicité par les amis de Bismarck, devenus les ennemis de Caprivi, de se réconcilier avec l’ex-chancelier, s’y refusait, ne voulant pas que la réconciliation s’opérât au détriment du chancelier en exercice. Puis, comme les sollicitations devenaient plus pressantes, il déclarait « qu’il ne demandait pas mieux, mais que ce n’était pas à lui de faire le premier pas, » réponse astucieuse, car il savait bien que ce premier pas, Bismarck se refuserait à le faire. Celui-ci, en effet, était bien loin d’y être disposé ; il devenait de plus en plus agressif, et d’ailleurs, il se préparait à rendre éclatant et public son ressentiment, à la faveur d’une circonstance qui allait lui en fournir l’occasion. En attendant, confiné à Friedrichsruhe et en même temps qu’il dictait ses Mémoires, il y recevait fréquemment des politiciens de bas étage, des journalistes plus ou moins obscurs, voire des financiers véreux, pêcheurs en eau trouble, personnel peu recommandable auquel il confiait ses griefs en le chargeant de les répandre.

Dans son entourage le plus intime, on déplorait cette attitude. Maurice Busch écrivait :

« Les journaux publient un grand nombre de choses sur Friedrichsruhe, que je ne trouve guère agréables à lire. Elles ne concordent pas avec la conception que je me suis faite de la grandeur et de la supériorité du caractère du prince, ni même avec les opinions qu’il a eu maintes fois l’occasion d’exprimer devant moi. Il permet à n’importe qui de l’approcher, il parle sans faire attention à qui l’écoute, et pour le plus grand plaisir de la Cour et de ses adversaires. Il reçoit un tas d’écouteurs et d’espions et se confie à eux comme s’ils étaient les plus intimes de ses amis. »

Le secrétaire particulier Bûcher n’était pas plus satisfait de