Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/722

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas. Mais le présent est douloureux et nous en partageons l’amertume avec nos alliés. Il en est cependant, toute proportion gardée, de la Serbie comme de la Russie : l’ennemi a occupé son territoire, il n’a pas détruit son armée. Ce qui en reste est une force redoutable, et les Austro-Allemands, aussi bien que les Bulgares, ont pu s’en apercevoir encore ces derniers jours. Le sanglier acculé a retourné contre eux ses défenses et leur a fait des blessures cruelles. Où que soient les Serbes, s’ils ne sont pas anéantis, il y aura toujours en eux des ressources de vie. C’est pour cela que nous devons, non seulement rester à Salonique, mais nous y renforcer. Nous le devons, le ferons-nous? Comment pourrions-nous résoudre la question à nous seuls? Les Anglais, les Italiens, les Russes y ont un intérêt direct incontestablement supérieur au nôtre : qu’ont-ils fait jusqu’ici pour y pourvoir? Nous avons indiqué la voie; nous nous y sommes engagés hardiment, sans regarder si nous étions suivis ; mais, aujourd’hui, il faut bien que nous le regardions et, jusqu’à présent, nous ne le voyons pas clairement.

Il n’y a plus d’indiscrétion à dire ce qui s’est passé en Angleterre : sir Edward Carson a déchiré tous les voiles en pleine Chambre des Communes, et nul ne peut plus ignorer que le Cabinet britannique a commencé par décider qu’il n’enverrait pas de troupes à Salonique. Il s’est heureusement ravisé depuis, mais un mois a été perdu, et le retard est difficile à réparer. Faut-il rappeler que, parlant à un journaliste anglais, M. Rhallys a excusé l’inertie de la Grèce en invoquant celle de l’Angleterre? «Vous voulez, lui a-t-il dit, que nous venions à votre aide quand aucun soldat anglais n’a encore versé son sang en Serbie, quand il n’a pas tiré un seul coup de fusil, pour ainsi dire. Votre gouvernement, ayant accumulé fautes sur fautes et retards sur retards, et n’ayant envoyé que quelques milliers d’hommes capables de nous aider, veut nous forcer à marcher et à mourir ! » En reproduisant ces paroles, nous en repoussons la profonde injustice. L’Angleterre n’a nullement demandé à la Grèce de venir à son secours, ni de sortir de la neutralité où elle se complaît. Il n’est pas vrai non plus qu’aucun soldat anglais n’ait versé son sang en Serbie. Mais toute passionnée qu’est l’algarade de M. Rhallys, la conscience anglaise jugera si elle ne contient pas quelque partie de vérité.

En revanche, nous avons rarement éprouvé, depuis quelques mois, une satisfaction plus complète qu’en lisant l’admirable discours que M. Orlando, ministre italien de la Justice, a prononcé récemment à Palerme. Ce n’est qu’un discours, sans doute, mais, comme il a été