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suites n’en sauraient être strictement, judaïquement soumises au droit commun. Il ne faut pas oublier en effet que, si nous sommes à Salonique, c’est que nous y avons été appelés par le gouvernement grec, pour concourir avec lui à la défense de la Serbie. Il a depuis changé d’avis ; c’est peut-être son droit; mais à côté du sien, le nôtre subsiste, et, quoi qu’il arrive demain, nous ne pouvons pas être traités sur le territoire grec comme des réfugiés et presque des intrus. Aussi, lorsque nous avons été menacés de l’être, lorsque des paroles inconsidérées ont fait croire que le gouvernement hellénique pouvait avoir quelque vague intention de ce genre, notre conscience s’est-elle révoltée. La presse française et anglaise a protesté avec énergie, avec indignation. Désarmer les Serbes! Désarmer les Alliés ! Les interner ! L’acte aurait été monstrueux, s’il avait pu être accompli; mais, certainement, il ne pouvait pas l’être, car ni les Alliés ni les Serbes ne s’y seraient prêtés: ils auraient résisté par la force, et aucun gouvernement hellénique n’aurait pris la responsabilité d’un pareil conflit. Il ne l’aurait pu, ni moralement, ni matériellement. Mais, comme le dit le titre d’une des pièces de théâtre du regretté Paul Hervieu : « Les paroles restent. » Celles de MM. Skouloudis et Dragoumis continuaient de peser sur la situation. La moindre imprudence aurait pu devenir fatale. Le gouvernement grec l’a compris et il a senti le besoin de pousser au superlatif les protestations de sa bienveillance envers nous. Des démarches dans ce sens ont été faites par ses ministres auprès des Puissances alliées : nous avons reproduit, il y a quinze jours, la note qui nous a été remise. Mais les protestations ne pouvaient plus suffire : il fallait autre chose.

Ce n’est pas que nous ayons douté de la sincérité du gouvernement hellénique. On ne rompt pas du jour au lendemain avec une longue tradition d’amitié. La Grèce sait fort bien ce qu’elle doit à la France, à l’Angleterre, à la Russie, et nous lui rendons la justice qu’elle se plaît à le reconnaître. Nous travaillons d’ailleurs pour elle, quand nous luttons pour l’indépendance des Balkans. D’où viennent donc ses hésitations, ses réserves, ses réticences? D’où vient qu’elle affirme sa neutralité sur un ton tragique et presque éperdu ? Nous l’avons déjà dit, c’est qu’on a peur à Athènes. Le Cabinet Zaïmis écrivait déjà qu’en intervenant, la Grèce s’exposerait aux pires dangers sans le moindre espoir de sauver la Serbie, et il ajoutait : « La Serbie ne saurait évidemment souhaiter un pareil résultat. » Attendez, disait-il encore, « l’intérêt commun commande que les forces grecques soient tenues en réserve en vue d’une meilleure utilisation