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dites, si nous nous relevons de ces désastres, nous verrons encore nos hommes d’État se perdre dans des discussions sans fin sur des questions abstraites de politique, au lieu d’aller au fond des choses. Nous portons la peine de cinquante ans d’oubli profond des sciences, des conditions de leur développement, de leur immense influence sur la destinée d’un grand peuple[1]… »

Dans un opuscule qu’il a intitulé : Pourquoi la France n’a pas trouvé d’hommes supérieurs au moment du péril, Pasteur constate avec tristesse « l’oubli, le dédain que la France avait eu pour les grands travaux de la pensée, particulièrement dans les sciences exactes : » Et, autre part, il écrivait : « Victime sans doute de son instabilité politique, la France n’a rien fait pour entretenir, propager, développer le progrès des sciences dans notre pays ; elle s’est contentée d’obéir à une impression reçue ; elle a vécu sur son passé, se croyant toujours grande par les découvertes de la science, parce qu’elle leur devait sa prospérité matérielle, mais ne s’apercevant pas qu’elle en laissait imprudemment tarir les ressources, alors que des nations voisines, excitées par son propre aiguillon, en détournaient le cours à leur profit, et les rendaient fécondes par le travail, par des efforts et des sacrifices sagement combinés.

« Tandis que l’Allemagne multipliait ses universités, qu’elle établissait entre elles la plus salutaire émulation, qu’elle entourait ses maîtres et ses docteurs d’honneurs et de considération, qu’elle créait de vastes laboratoires, dotés des meilleurs instrumens de travail, la France, énervée par les révolutions, toujours occupée de la recherche stérile de la meilleure forme de gouvernement, ne donnait qu’une attention distraite à ses établissemens d’instruction supérieure. »

Et le grand chimiste Sainte-Claire Deville résumait à la même époque, d’un mot, la pensée qui hantait alors tous les savans de notre pays : « C’est par la science que nous avons été vaincus. »

Quand, en regard de ces tristes souvenirs, de ces évocations douloureuses dont la leçon ne doit jamais être oubliée, nous mettons ce que la France a fait depuis la dernière guerre pour la science, et aussi ce que la science a fait pour la France assaillie, ce dont mes récentes chroniques sur les explosifs ont donné des exemples, on a le droit d’être réconforté vraiment, et de ne point douter du progrès.

La marche ascendante de nos efforts récens pour répondre à la mobilisation scientifique de nos ennemis, l’impulsion que va leur

  1. C’est moi qui souligne. — C. N.