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significatives. A Olympie, entrez dans le musée où l’on a réuni les fragmens de sculpture tirés du sol : et parfaitement installés, étiquetés, catalogués. Restaurés, en outre ! Si habile qu’on la suppose, une telle restauration n’est qu’une hypothèse d’archéologues. Il était facile de présenter l’hypothèse, non sur les originaux, mais sur des moulages, et de laisser les originaux tels qu’ils furent exhumés. Avec une désinvolture étonnante, les archéologues allemands ont employé à la confection de leur hypothèse les fragmens du marbre antique. Et c’est, à mon avis, l’indice d’un travers qui ne caractérise pas mal la science allemande. Ces archéologues ont estimé que rien n’était trop beau, précieux et auguste pour servir à l’exhibition de leur hypothèse. Ils préfèrent leur hypothèse à l’objet de la recherche. L’objet qu’ils ont trouvé, dans le sol d’Olympie, c’est un reste de l’art antique ; leur hypothèse, c’est la science. Et ils préfèrent la science à l’objet même de la science. Il y a là un monstrueux renversement des valeurs : et la faute résulte de l’orgueil des savans. Tout est faussé, lorsque les savans confondent les moyens et la fin. Le travail des savans ne doit être que moyens : et, la fin, c’est la vérité. Mais on divinise la recherche, qui, sans humilité, devient quasi grotesque ; on la divinise, au détriment de l’objet. Cet énorme contresens a pour effet de tourner la science à la caricature d’elle-même et d’en faire une idole extraordinaire. C’est un inconvénient que la science évite peu, en Allemagne, où elle a ses adorateurs les plus imprudens.

Je ne crois pas que la science française mérite un pareil reproche. Elle ne tombe pas dans le péché d’outrecuidance ; elle conserve élégamment sa modestie : elle se soumet à son œuvre. Les caractères de la science française, M. Lucien Poincaré les note, dans la préface qu’il a écrite pour les volumes que j’examine. Ce sont premièrement, dit-il, « l’ordre, la netteté, la précision. » C’est la clarté : elle exige l’évidence. Il ne lui suffit pas de poser des définitions abstraites et d’en conclure ceci ou cela : elle veut, « à chaque pas qu’elle fait, confronter ses progrès avec la réalité. » En somme, elle est positive et ne substitue pas à la vérité concrète la dialectique. Cependant, elle « généralise, » mais avec tranquillité. « Telle autre… » dit M. Lucien Poincaré ; cette autre-là, c’est la science allemande. Pour recueillir les petits faits, pour les ranger et pour n’y plus toucher, les Allemands ont la réputation de n’avoir point au monde leurs pareils. Et l’Allemagne est renommée comme le pays de la métaphysique. Seulement, leur métaphysique et leurs petits faits n’ont pas de contact : leurs petits faits sont dans des tiroirs, et leur métaphysique est dans les