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et dialogues pour apprendre l’espagnol ; maints traducteurs, comme les Oudin, les d’Audiguier, mettent en français romans et nouvelles d’au-delà des Pyrénées : « Cervantes n’aurait pas sitôt conquis sans eux sa gloire universelle. » Au XVIIIe siècle, une revue française, fondée par La Dixmerie, a pour titre L’Espagne littéraire. Et nos voisins des Pyrénées accordent aux Allemands l’honneur d’avoir, au commencement du XIXe siècle, « mis en valeur » l’Espagne et sa littérature. C’est une erreur. Les romantiques allemands suivaient, à ce propos, la tradition française : « Le poème de Herder, Der Cid, n’est pas tiré du Romancero espagnol, mais de la version française de la Bibliothèque des romans ; A. W. Schlegel n’a pas inventé le culte de Calderon, il l’a trouvé dans la préface du Théâtre espagnol de Linguet. » Les études hispaniques sont grandement redevables à notre Mérimée ; elles ont aujourd’hui, dans nos universités françaises, des dévots et des maîtres tels que Morel-Fatio, Cirot et le signataire du chapitre que je résume, Ernest Martinenche.

Dans les différens ordres de la science, la France a les deux sortes d’hommes qu’il faut : les grands génies, les instigateurs qui prennent, au bon moment, les initiatives déterminantes ; et les équipes d’ouvriers laborieux qui, dociles à une forte discipline, assument l’immense et méticuleuse besogne. Un Pasteur, un Henri Poincaré, un Gaston Paris dominent la science universelle. On ne connaît presque pas ou on ne connaît pas du tout la foule des travailleurs qu’ils ont groupés autour d’eux, autour de leur idée, autour de leur durable mémoire, et qui complètent leur idée, parfois la modifient, la transforment et ainsi préparent les nouvelles tentatives. La Science française rappelle ou révèle ces noms modestes et admirables, mentionne les œuvres, indique en peu de mots les trouvailles, les résultats obtenus, et va très vite, parce qu’il y a des centaines et des centaines de travailleurs dans nos ateliers de science. Quelques lignes pour les taches les plus marquantes, un mot dans une longue et dense énumération : voilà tout le résumé de vies entières et le symbole de leur abnégation. Vies dévouées et consacrées, qui sont à elles-mêmes leur récompense et que gouverne l’humilité : l’orgueilleuse humilité de servir. Que de vertus simplement dépensées, la fatigue endurée, l’ambition restreinte, la cupidité abolie, une assiduité constante et, dans un emploi qui demande le perpétuel éveil de l’esprit, la fière obéissance, jusqu’au renoncement ! Lorsque le vieil Augustin Thierry eut lentement usé ses yeux à lire tant d’archives et de paperasses, malade et encore à vingt ans de mourir, le 10 novembre 1834, il dicta