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ses confidences, il nous lisait cette lettre, reçue la veille, d’une enfant de son âge, dont les parens, des paysans comme lui, dans un village de l’arrière, l’avaient logé deux jours :


« Mon petit Léon bien-aimé,

« Je t’écris cette lettre pour te dire que nous pensons toujours à toi, malgré peut-être que nous ne te reverrons plus. Et nous sommes bien contentes, maman et moi, que tu ne sois pas beaucoup blessé. Et comme c’est demain le premier mai, maman et moi nous avons été dans les bois cueillir ces petites fleurs de muguet que je t’envoie. C’est afin qu’elles te portent chance.

« Adieu, cher petit Léon, je t’embrasse de tout mon cœur et je suis ta petite amie chérie. »

Ayant écouté cette lecture avec nous, mais autrement que nous, les « copains » se mirent à plaisanter — vous devinez sur quel ton, — et à « insinuer des choses. » Alors le petit, rouge de colère, un peu de honte, et nous prenant à témoin, s’écria : « C’est pas vrai. D’abord, n’est-ce pas, monsieur, que, s’il y avait eu des bêtises, elle ne parlerait pas de sa mère dans la lettre ! »

Ainsi, la souffrance affinait les esprits, en même temps qu’elle élevait les âmes. Après un concert mêlé de poésie, un soldat nous dit seulement : « C’est beau, ce qui parle. Mais ce qui chante, ce qui chante ! » Trop flatteuses paroles pour un musicien, sinon pour la musique. Il la comprenait bien, celui-là. Une autre fois, c’était eux-mêmes, eux tous, qui nous la faisaient comprendre. Les Petits Chanteurs à la Croix de bois étaient venus un soir chanter pour eux. De peur de les fatiguer, ils ne leur avaient chanté que des choses très douces. A la fin, quelqu’un demanda la Marseillaise. Les enfans n’osaient pas, ayant, disaient-ils, de trop petites voix. Ils osèrent pourtant, et bientôt, d’autres voix, toutes les autres, se joignirent aux leurs. Elles sortaient, ces voix, de la pénombre de la salle, de la blancheur des lits, de la pâleur des visages. Faibles, dolentes, elles étaient belles de leur faiblesse et de leur douleur même. « Por la boca de su herida, » comme dit la Chimène de Guilhen de Castro, croyant encore entendre la voix de son père à peine expiré. Nos blessés chantaient ainsi, « par la bouche de leurs blessures, » et nous, en écoutant les strophes sublimes, il nous semblait les