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Bientôt, aux, semaines de travail, succédèrent les semaines d’attente, plus difficiles à passer. Elle fut longue, et lourde, cette fin d’août et cette première huitaine de septembre. Pas de blessés encore. La tâche souhaitée se dérobait au dévouement inutile, et, dans l’hôpital vide, les infirmières oisives trouvaient trop lent à venir un devoir qu’appelait en vain leur généreuse impatience.

Loisirs pleins de mélancolie d’abord, puis d’inquiétude, enfin d’une angoisse croissante avec l’approche du péril. L’été s’achevait, splendide, et la sérénité du ciel ne faisait qu’aviver, par le contraste, l’émotion dont battaient les cœurs ! Encore mieux que des jours d’alors, il nous souvient des soirs, invariablement radieux. Quand la chaleur était tombée, nous gagnions les points élevés du parc, les hautes allées et les terrasses. Nous montions là comme en pèlerinage. Longuement, nous regardions au loin Paris, immense et poudroyant dans la lumière, gardé par sa haute tour vigilante et par sa blanche basilique. Nous le regardions en silence, notre Paris, et, dans ce regard muet et tendre, chacun de nous mettait à la fois sa crainte et son amour, celui-là vraiment dont parle le poète :



Son amour taciturne et toujours menacé.


Puis on redescendait. Sur un ciel de rose ou d’or vert, les grands marronniers formaient des dômes sombres. Des reflets s’attardaient aux pentes ardoisées du toit de la chapelle. Au sommet, la croix de bronze luisait parmi les groupes de petits anges. Grave, recueilli, le paysage s’accordait avec les pensées.

Graves étaient aussi les repas, à la table du réfectoire, où la bienveillance de ces messieurs avait admis le personnel masculin de l’hôpital. Une voix s’élevait, lisant en latin de saintes et terribles histoires : « In Galliâ, in Cappadociâ. » Suivait une énumération de noms, de lieux et de supplices, toujours avec cette conclusion : « et alibi plurimorum aliorum martyrum. » C’était les Actes des martyrs, bonne lecture en des jours où l’on attendait les barbares. On mesurait l’approche quotidienne de l’ennemi, on discutait ses chances et les nôtres. On commentait les nouvelles. De temps en temps, un journal, une lettre, apprenait aux maîtres du séminaire la mort héroïque d’un de leurs disciples, et qu’il y aurait désormais un élève