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peuples, s’ils peuvent à la rigueur se passer de la liberté politique, ne peuvent pas se passer de la liberté individuelle. Encore une fois, pas un mot de lui ne put faire conjecturer s’il voulait perdre ou sauver qui que ce fût. Il s’éleva beaucoup au-dessus des passions du jour. Ce fut véritablement le triomphe de sa carrière oratoire.


Ce n’était cependant pour lui qu’un épisode qui ne pouvait lui faire oublier son œuvre essentielle, laquelle était de travailler à l’assainissement de la nation par une action mieux concertée de la justice pénale. Or, cette action, il la voyait bien dans sa complexité quand, à propos du congrès de patronage des libérés, il s’exprimait ainsi : « La peine n’est qu’une satisfaction temporaire donnée à l’opinion et un avertissement pour le coupable : il n’y a de garantie véritable pour l’ordre social que dans le relèvement du condamné. » De ces deux parties de son programme il ne négligea ni l’une ni l’autre.

Il n’a jamais voulu rien réunir en volume ni publier même de tirage à part[1] ; il est donc devenu un peu difficile de discerner dans un grand nombre de cas quelle part revient à lui ou à beaucoup de ses amis dans les réformes qui ont signalé les trente dernières années. D’un bout à l’autre des Annales parlementaires, néanmoins, on le cherché, on le retrouve, on le suit, à travers toutes ces étapes de la lutte contre le mal, avant, pendant et après la condamnation : les principales de celles où il s’est arrêté le plus complaisamment sont la réforme de l’instruction criminelle, la loi de sursis, l’internement individuel, le casier judiciaire et la surveillance de la haute police. Aujourd’hui tout cet ensemble est bien connu. M. Bérenger est de ceux qui critiquèrent le plus vivement les procédés trop ingénieux de la plupart des juges d’instruction. Il leur reprochait de transformer ce qui devait être l’étude des faits positifs en une série d’habiletés tendant à multiplier les pièges inattendus, à mettre le prévenu en contradiction avec lui-même, à, lui arracher ce qui pourrait ressembler à un aveu, à tout subordonner ensuite à la vérification, parfois plus apparente que réelle, d’une hypothèse préconçue. A ces abus il y avait d’abord

  1. Sauf les instructions qu’il édita tardivement sur la lutte contre la pornographie.