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religieuses absolument contraires ; je suis, je l’espère, un ferme républicain, tout en étant conservateur, et j’entends être et rester un très ferme catholique. » Puis, entrant sans tarder dans le vif du débat, il déclarait : « Jamais, dans aucun cas, je n’accepterai qu’on puisse imposer une loi d’exception. » Après avoir ajouté, avec un accent de sincérité que nul n’a jamais méconnu en aucune occasion : « Je ne me reconnais aucun intérêt, je dirais presque aucune opinion sur l’affaire qui motive le projet actuel ; » mais il poursuivait : « Fidèle à moi-même, je dis : quelque troublante que soit l’affaire actuelle, quel que soit le besoin d’apaisement que chacun éprouve, il faut en finir avec le seul secours de la législation existante. » Repoussant dédaigneusement les artifices avec lesquels on avait espéré faire passer d’autres lois de circonstance, pour les appliquer en temps voulu et prévu, établissant qu’on ne pouvait alléguer que deux précédens, — et quels précédens, — celui des cours prévôtales exceptionnelles de la Restauration et celui des commissions mixtes de l’Empire, il en appelait aux traditions du respect absolu des formes protectrices de la justice, trésor moral de la France, et il s’écriait : « Serait-il possible que ce que nous avons respecté depuis un siècle comme l’expression de la vérité et de la justice mêmes, pût être rejeté comme un instrument inutile, parce qu’un fétu de paille se rencontre sur la route, parce qu’un ministre est embarrassé pour résoudre une question du jour ? » Et il invoquait les grands parlementaires de la veille, les Dufaure, les Jules Simon, et, — il insistait tout particulièrement sur ce nom, — Buffet.

Cette belle discussion qui, pour les hommes professant sur l’affaire les opinions les plus diverses, mériterait d’être placée dans un recueil classique de morceaux choisis, ne se composait pas uniquement, loin de là ! d’adjurations pathétiques et d’appels solennels aux immortels principes. Non ! avec une science juridique et une clarté qui doublaient son autorité, l’orateur expliquait par quels moyens, très corrects et très simples, le gouvernement, dans toute l’étendue, mais aussi dans les limites de ses attributions normales et régulières, aurait pu faire établir devant le Conseil supérieur de la magistrature, par exemple, le bien ou le mal fondé de ces soupçons qui pesaient sur certains conseillers, attaqués, flétris, presque déshonorés sans avoir été entendus. Avec non moins de sens, il rappelait comment les