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ou « recensemens » de subsistances. A partir de ce moment, le commerce des grains fut interrompu, les cultivateurs se virent inquiétés, et l’approvisionnement des marchés devint aussi irrégulier qu’insuffisant.

Au mois de mars 1789, le Parlement de Dijon interdisait l’exportation du blé hors de son ressort. Le Parlement de Besançon suivit cet exemple, et, du même coup, le ravitaillement des villes de Lyon et de Paris fut entravé.

Des intendans, notamment ceux de Champagne et de Soissons, rendirent, pour leurs provinces, des ordonnances semblables aux arrêts des Parlemens de Bourgogne et de Franche-Comté. Les alarmes et les insurrections devinrent dès lors générales. La libre circulation des denrées était partout entravée. Necker, préoccupé de l’alimentation de Paris, faisait chercher des grains par ses agens, et, sous l’influence de cette concurrence nouvelle, les prix s’élevaient. Le peuple, ameuté, s’opposait aux transports ; les troubles eux-mêmes contribuaient à provoquer l’élévation des cours, en augmentant les inquiétudes.

L’arrêt du Conseil en date du 23 avril 1789 accrut ces alarmes au lieu de les dissiper. Le Roi rappelait les mesures prises pour faciliter les importations des grains et interdire leur sortie ; il faisait ouvertement allusion aux achats effectués à l’étranger et révélait ainsi officiellement l’insuffisance de la précédente récolte en justifiant imprudemment les craintes du public.

Les achats de blé hors des marchés étaient interdits, pour décourager les spéculateurs, toujours dangereux dans un temps de cherté, et ordre était donné de permettre aux particuliers de s’approvisionner avant tous les autres acheteurs. C’était désigner, une fois de plus, les négocians à la malveillance du peuple, et signaler les dangers que leurs spéculations faisaient courir aux victimes de ces manœuvres. Enfin, l’intervention gouvernementale se traduisait par l’ordre donné aux intendans de procéder à des réquisitions, à des inventaires et à des visites domiciliaires destinées à préciser l’état des réserves disponibles et à permettre de contraindre les cultivateurs à garnir les marchés.

Un conventionnel, Creuze-Latouche, a condamné, plus tard, cet arrêt en disant : « Les seuls effets qu’il produisit furent de rendre le peuple plus furieux, les marchés plus dégarnis, le blé encore plus cher. »