Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/605

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne doit pas augmenter de prix. Abandonné à toutes les influences que comportent la concurrence libre et les spéculations du négoce, le prix du pain pourrait s’élever.

L’Etat a le droit de le fixer et de prendre, à cet effet, toutes les mesures que justifie d’avance la loi suprême, — celle du salut public ! — S’il faut faire plus, l’État n’hésitera pas davantage : il taxera toutes les céréales, le bétail, les viandes, les pommes de terre ou les fruits.

Telle est la doctrine qui semble prévaloir aujourd’hui ; telles sont les applications du principe dont elle se réclame, le principe ou la loi de l’intérêt public, compris et défendu par un groupe politique.

Que valent, cependant, et la doctrine et le principe qui paraît la justifier, et les applications qui en résultent ?

Pour le savoir, il suffit, à la vérité, d’écouter les leçons de l’expérience et de ne pas méconnaître les enseignemens de l’histoire économique.

La France a souffert, sous la Révolution, d’une crise des subsistances. L’Etat a voulu intervenir ; il a taxé, il a réquisitionné, non pas le blé seulement, mais tous les comestibles, il a poursuivi les accapareurs, établi des greniers d’abondance et monopolisé le commerce des grains à l’importation. Le principe invoqué et défendu était déjà celui que l’on défend et dont on se réclame aujourd’hui pour substituer la contrainte à la liberté. « Citoyens, s’écriait Phélippeaux, le 28 avril 1793, c’est en concourant tous au salut de l’Etat, qu’on assure ses propriétés et son bonheur. Celui qui veut éluder cette obligation sacrée est un perfide ou un insensé… »

Et le même orateur, il y a cent vingt-deux ans, parlait déjà du « pain national. » « Oui, disait-il, je ne m’en tiens pas encore à ces mesures. Les estomacs aristocratiques et sensuels ont introduit l’usage d’un pain plus moelleux et plus délicat que celui de la multitude.

« En confondant tous les résultats de la mouture et en consommant avec tous nos frères une seule espèce de pain, il deviendra meilleur et plus substantiel. »

La loi du 15 novembre 1793 réalisait les vœux de Phélippeaux et décidait : 1° La mouture sera uniforme ; 2° Les boulangers ne pourront faire et vendre qu’une seule espèce de pain.

Les projets soutenus hier à la tribune de la Chambre ne