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simplement déblayée ; à l’issue de l’office, l’orgue attaquait la Marseillaise, « chantée par un baryton d’Opéra » du 89e territorial, mais sur un rythme si « lent, » si « religieux, » que les hommes, troublés, n’osaient « reprendre en chœur le refrain[1]. » De petites prises d’armes suivaient quelquefois pour de nouvelles remises de décorations, entre autres au premier maître Lebreton, un des meilleurs gradés du 2e régiment, blessé dans l’affaire du 24 octobre ; elles avaient lieu d’ordinaire à huit heures et demie. Mais la prise d’armes du 27 novembre, véritable revue des morts, fut particulièrement « impressionnante : » le commandant de la 8e armée, dans un ordre du jour dont la lecture devait être faite par l’officier de service, avait dressé la liste des pertes subies par la brigade. C’était l’après-midi, et le 1er régiment au complet était rassemblé dans l’église, « au pied des vieilles plaques tombales, » dont les « pompeuses » inscriptions rappelaient d’honorables carrières de chapelains et de marguilliers locaux. Le ban ouvert, l’adjudant-major Lefebvre commença la lecture ; les noms tombaient dans le silence, uniformément suivis de la mention : « Mort à Dixmude. » Et, à mesure que la funèbre liste se déroulait, l’oppression gagnait tous les cœurs ; l’air était agité d’un sourd frémissement, pareil à celui de ces ombres qu’Ulysse évoquait sur un cap perdu de la mer cimmérienne et qui l’enveloppaient de leur invisible tourbillon.

Presque tous les carnets d’officiers, entre cette date du 27 et le 5 décembre (date du départ de la brigade) sont vides ou contiennent pour toute mention : « Rien à noter… Rien de particulier… » À la date du 28 cependant, l’un d’eux rapporte le propos d’un étudiant allemand fait prisonnier, d’après qui le Kaiser aurait « le ferme espoir d’être à Calais pour le 10 décembre. » Le 30 novembre, un autre officier raconte que son camarade Pelle-Desforges est monté dans le clocher et a pu constater que toute la région au Sud de Loo était inondée. Le 1er décembre, écrit le commandant Geynet, « j’ai vu une belle chose : une toute jeune femme, repasseuse à Paris, est venue embrasser son mari, un simple matelot de mon bataillon. Elle repart ce soir. Elle a mis huit jours et a dû venir de Dunkerque ici à pied. » Le 2 décembre, tous les yeux sont en l’air : deux

  1. Journal de l’enseigne C. P